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DADVSI : le combat ne fait que commencer

samedi 26 novembre 2005

Décembre 2005 représente, pour tous les français qui s’inquiètent un tant soit peu de leurs droits en matière de consommation de contenus culturels, une échéance importante. C’est en effet à la fin de ce mois-ci, généralement déserté par les parlementaires à l’occasion des fêtes, que sera examiné par le Parlement la loi DADVSI.

Celle-ci est une transposition exaggératrice de la directive EUCD, elle-même inspirée par le DMCA américain dont les résultats en 7 ans d’application montrent qu’il n’a été utilisé qu’à des fins de concurrence déloyale et d’entente illicites entre les géants du high-tech.

Comme on en a maintenant l’habitude, avec ce genre de lois sur les libertés individuelles, l’urgence est utilisée par le gouvernement et la commission européenne (par le biais de menaces de sanctions financières à la France au cas où elle ne transposait pas au plus vite) afin d’écarter le débat démocratique, d’autant plus que pour l’instant aucun média de masse n’a réagi. La manipulation de nos gouvernements et de la commission en particulier par les éditeurs se fait chaque mois plus évidente.

Ce qui devrait normal couvrir de honte notre pays est que parallèlement à ce genre de dispositions légales abusives, ses représentants osent fanfaronner être les défenseurs de cette fameuse “exception culturelle” soi-disant si chère à la France. Rappelons qu’ensemble ces deux mots désignent l’intention de ne pas calquer la diffusion de la culture sur le modèle mercantile des biens prôné par la société de consommation et notamment l’OMC. Ah elle sera belle cette “exception culturelle” une fois la loi DADVSI passée, puisqu’elle va exactement dans le sens inverse :
– en interdisant la diffusion d’informations techniques sur les dispositifs de verrouillage des oeuvres ;
– en limitant de facto la copie privée, pourtant censée être financée par le biais des taxes sur les supports vierges ;
– en faisant barrage aux initiatives du domaine public (logiciel libre et musique libre, notamment) ;
– en faisant de la culture un domaine soumis à la condition de pouvoir se la payer ;
– en favorisant des sociétés multinationales étrangères sur le dos de produits culturels, y compris purement français.

Rappellons que les 2 entreprises soutenant le plus activement ce texte sont la BSA (une association anti-piratage de logiciels n’ayant même pas d’instance légale en France) et Universal, la plus grosses des boîtes à industrialiser la musique du monde.

EUCD.info, qui milite contre cet abus programmé de nos libertés depuis plus de 3 ans, méritait bien que son action soit mentionné sur cet humble blog. Maintenant notre premier ministre a déclaré l’urgence pour ce texte, EUCD.info a déclaré celle de lutter contre et propose à cet effet une panoplie de mesures allant des démarches démocratiques (pression sur les députés, proposition d’amendements…) à la responsabilisation individuelle du public.

Faut-il vraiment s’inquiéter de cette loi ? Sur le principe, oui bien sûr, dans la mesure où elle favorise clairement une société culturelle à deux vitesses dans un pays qui prône hypocritement l’ “exception culturelle”. L’intention est logiquement mauvaise, car dictée par des intérêts purement coporatistes privés. Et la sanction méritée pour une telle trahison serait pas moins qu’une sévère défaite du gouvernement actuel en 2007.

Maintenant, faut-il s’en inquiéter “en pratique” ? A voir. Aux USA, le DMCA, même s’il est devenu un fertilisant de pratiques anti-concurrencielles, n’a pas réussi à empêcher la copie privée qui n’a d’ailleurs jamais été aussi forte qu’aujourd’hui. Et même en France, les précédentes lois abusives des libertés individuelles n’ont accouché que dans la douleur de décrets d’application n’ayant pas eu d’impact réel. La LSQ-LSI tant décriée – et à juste titre – en 2001 n’a au final pas changé grand-chose : aucun abus n’a été constaté à ma connaissance et le fait que le parlement planche sur un nouveau texte sur la lutte contre le terrorisme à peine 4 ans plus tard montre bien que celui de 2001 n’a servi à rien.

Pourquoi relayer l’action de EUCD, alors ? Parce que je suis convaincu que la meilleure façon de combattre cette future loi n’est pas la voie parlementaire, trop bien connue des politiques et trop faible. Plus le temps passe et plus je suis convaincu que le réel pouvoir de la démocratie n’est plus dans le militantisme, mais dans la consommation, et il faut utiliser cet état de fait pour protéger nos droits. Je m’explique derechef.

De nos jours, les projets de lois relatifs à la consommation ne sont plus du tout guidés par la volonté du peuple mais par celle de ceux qui en récoltent le fruit. Et dans le cas des droits d’auteur, il s’agit bien sûr des éditeurs. Leur lobbying est puissant et bien organisé, et d’ailleurs ils ne s’en cachent même pas : il suffit de lire une interview de Pascal Nègre, patron de Vivendi-Universal pour s’en rendre compte. La pression des éditeurs sur notre gouvernement est bien trop forte (cf. le pouvoir de l’argent) pour que le peuple puisse espérer la contrebalancer.

Cela dit, le peuple dispose lui aussi d’un moyen de pression gigantesque : sur les éditeurs eux-mêmes. Les éditeurs cherchent à faire croire qu’ils peuvent imposer leur vision des choses aux consommateurs, mais c’est oublier qu’il faudra bien qu’ils vendent leur camelote par la suite. Le rapport de force est assimilable en réalité à un trilangle : les éditeurs font pression sur le gouvernement (lobbying), qui fait pression sur le peuple (lois), qui fait pression sur les éditeurs (consommation). Les éditeurs sont parfaitement conscients de cela, et c’est pour ça qu’ils essayent d’arriver à une situation où tout serait verrouillé, afin que les clients ne puissent pas exercer la pression par le choix dans un marché uniformisé.

A titre d’illustration, comme l’a écrit Dominique Barella, président de l’Union syndicale des magistrats dans une tribune parue dans Libération le 14 mars 2005 :

“Quand une pratique infractionnelle devient généralisée pour toute une génération, c’est la preuve que l’application d’un texte à un domaine particulier est inepte. La puissance de la jeunesse est immense, le jour où des milliers de jeunes se retrouveront place de la Bastille pour protester contre le CD téléchargé à un euro, aucun élu ne leur résistera.”

Aussi, ce sont pas les idées d’action contre le vote de la loin DADVSI auxquelles je souhaite sensibiliser mes lecteurs, mais bien celles de la seconde partie de la rubrique “comment agir ?” du dossier de EUCD.info. Et je le ralaye donc directement ici :

* en listant sur un site public (par exemple en wiki) les produits et services réellement de confiance, et en recensant également sur un site public les produits et services bridés pour ne lire que des oeuvres protégées par un dispositif technique. N’hésitez pas à compléter ces listes et à les diffuser largement à vos proches avant les achats de fin d’année …

* en n’achetant pas de produits et de services intégrant des mesures techniques de contrôle abusif ;

* en achetant et en offrant uniquement des produits et services de confiance ; d’une manière générale, n’hésitez pas à ‘consommer’ des produits et services libres et gratuits (p.ex pour la musique : http://musique-libre.org)

* en demandant systématiquement aux vendeurs si les produits que vous comptez acheter sont équipés de mesures techniques ; signalez clairement au vendeur les raisons du refus d’achat ;

* en écrivant aux auteurs, artistes et producteurs concernés pour expliquer clairement le boycott éthique et civique et transmettez une copie aux associations de consommateurs et à EUCD.info ;

* en exigeant le remboursement des produits et services en cas de dysfonctionnement dû à une mesure technique qui n’aurait pas été clairement annoncée. N’hésitez pas à faire un esclandre, à raconter votre histoire sur internet ou sur le forum libertés numériques de framasoft ; centralisez les plaintes par zone géographique ;

Parlez du problème autour de vous, à votre famille, à vos amis, vos collègues, vos voisins, vos camarades de chat ou de jeu pour qu’ils se mobilisent et résistent également. Ce travail pédagogique est long et parfois fastidieux ou démoralisant, mais il est nécessaire et efficace.

Rien n’est perdu, au contraire. Si cette loi passe, et elle passera sans doute (tout a été bien organisé pour, à commencer par sa date d’examen), le temps de l’action ne fera que commencer, à mon avis. Cette action suppose un travail d’information de proche en proche ainsi qu’un effort de boycott concerté relativement difficile, mais les éditeurs doivent comprendre que c’est le peuple qui doit façonner la culture et non pas ceux qui en tirent profit.