I-10 (08/12/2001) : Une fabulette à la japonaise


Aujourd’hui, je vais vous parler un peu de jeux vidéo. C’est un thème d’actualité avec la nouvelle guerre de la génération des consoles 128 bits lancée depuis peu. Voici une histoire qui mériterait presque de devenir une petite fable et que je vous la raconte succintement.

Il était une fois au Japon, une compagnie nomée SquareSoft, qui était célèbre pour des jeux de rôles sur console, et notamment la saga Final Fantasy, dont les six premiers épisodes avaient eu un succès impressionnant sur consoles Nintendo. Un beau jour, le développeur, se sentant spolié par la politique tarifaire du constructeur, décide d’aller voir ailleurs (chez Sony et sa Playstation en l’occurence)…

Pour l’instant, rien d’extraordinaire, des histoires comme celles-là sont assez banales au pays du jeu vidéo. Mais là où ça devient pittoresque, c’est que les gars de chez Square, au lieu d’assumer leur choix en silence, ont cherché à remuer le couteau dans la plaie qu’ils venaient d’ouvrir, notamment en crachant publiquement sur la nouvelle console de Nintendo et en incitant d’autres éditeurs à ne pas développer dessus. Une haine était née et Nintendo ne s’en est aperçu que trop tard. La légende raconte que le clou fut enfoncé d’une façon ultime le jour où Square adressa un courrier au big boss de Nitendo, contenant sur une feuille le logo de Enix (l’autre gros développeurs de RPG au japon, notamment connu par sa saga Dragon Quest, que Square est ainsi parvenu à faire basculer de Nintendo vers Sony), sous-titré par un laconique “Now how do you like being hurt ?”, traduisible par “Tu la sens, cette blessure ?”.

L’histoire aurait pu en rester là, mais le destin prend parfois un malin plaisir à retourner les situations. Et, même si en effet le manque de développeurs sur Nintendo-64 s’est fait assez fortement ressentir, le constructeur a largement sauvé son chiffre par un produit : la GameBoy Color. Son succès a été tel qu’elle assurait à pratiquement tous les développeurs officiant dessus des rentrées d’argent colossales. Et Square, qui venait de dépenser près d’un milliard de dollars pour produire son grand fantasme cinématographique répondant au nom de “Final Fantasy : The Spirits Within”, aurait eu bien besoin de telles rentrées d’argent… que Nintendo, pensez donc, s’est dépêché de mettre hors de leur portée, leur refusant l’indispensable licence et en leur répétant leurs propres paroles de rupture qui disaient en substance qu’on ne verrait plus jamais un jeu SquareSoft sur une console Nintendo. Là encore, la légende veut que Nintendo ait invité les représentants de Square en leur faisant miroiter un contrat possible, mais seulement pour les humilier en leur donnant un papier avec imprimé dessus une GameBoy Adance sous-titrée du non moins laconique “Is it what you’d like to develop for ?”, autrement dit “Est-ce là-dessus que vous aimeriez développer ?”.

Aujourd’hui, la GameBoy Advance a succédé à la GameBoy Color et son succès paraît suivre le même chemin, plusieurs développeurs ayant déjà sorti des RPG spécialement pour elle. Et Square, de son côté, salivant de ne pas disposer de la précieuse licence, multiplie les tentatives de reconquête, promettant des jeux en exclisivité et allant même jusqu’à ce qui pourrait s’apparenter par des excuses publiques : “Notre pire ennemi à l’époque était bien notre orgueil”, a récemment lâché un des grands designers du groupe. Mais tiraillé entre un Nintendo qui leur voue maintenant un mépris farouche pour haute trahison et un Sony décidé à ne pas lâcher les franchises de son bébé (le géant a récemment acheté environ 15% de leurs actions), il appparaît aujourd’hui que cette ancienne étoile brillante du monde des jeux vidéo souffre beaucoup. Et ce n’est pas Final Fantasy 10, dont le coût de développement faramineux a mis du temps à être comblé par les ventes, qui va sauver l’honneur. La compagnie vient d’annoncer des pertes nettes de plus de 100 millions de dollars et table sur un bilan 2001 négatif, à comparer avec les 700 millions de dollars de bénéfices sur l’année 2000.

La moralité que je donnerais sur cette histoire est la suivante : toujours prévoir une réserve d’argent et éviter de se faire des ennemis au pays quand on part à l’assaut d’Hollywood !

Et bonjour chez vous !