III-12 (18/04/2004) : Plus dure sera la chute


Dure époque pour les héros. On ne le répétera jamais assez : méfiez-vous des hauteurs auxquelles vous mènent vos exploits, car la grosse tête vous guette et vos anciens soutiens ne manqueront pas de se retourner contre vous. Et sur ce point le monde informatique n’est pas très éloigné de la vie en général, comme en témoigne la situation dans laquelle se retrouve aujourd’hui Jon Johansen, alias “DVDjon”, l’illustre hacker norvégien de 19 ans qui a récemment fait plier la toute-puissante RIAA dans l’affaire de DeCSS, le casseur du cryptage des DVD Vidéo. Il est dès lors devenu une véritable figure de proue du mouvement en faveur du logiciel libre et de défense du “fair use”, à savoir l’utilisation de protections contre la copie suffisamment souples pour permettre une utilisation décente des contenus légalement acquis.

Après cette éclatante victoire sur la protection des DVD, la machine Jon s’est emballée et son nouveau défi n’est rien moins que le marché émergent de l’année 2004 : la musique en ligne. Et c’est directement au plus gros poisson du lac qu’il s’attaque, puisque c’est le format AAC d’Apple qui est visé. Le concept du programme est simple : donnez-lui un fichier protégé en entrée, il vous donne le même fichier en sortie, mais sans protection. Mais pour pouvoir faire tourner le programme, il faut disposer de l’autorisation de lire ce fichier, donc l’avoir acheté. D’où un but exprimé plus noble que de la piraterie pure et simple : l’idée est surtout de permettre à l’acheteur d’utiliser son acquisition sans limite et comme bon lui semble.

Seulement voilà, en s’attaquant au leader du marché, DVDjon s’est également attaqué (pour une fois) au plus respectueux des libertés des consommateurs. Car il faut remarquer que les conditions d’utilisation de l’iTunes Music Store d’Apple, contrairement à celles de ses concurrents, sont tout sauf aliénantes : pour un dollar et sans abonnement, toute chanson achetée est lisible à l’infini sur trois ordinateurs différents et sans limitation de durée, avec possibilité de la copier sur autant de CD et d’iPod (le célèbre baladeur MP3 de la firme) qu’on le souhaite. Par ailleurs, Jon se garde bien de toucher au format WMA, principal concurrent du AAC et aux conditions d’utilisation beaucoup plus strictes à prix généralement identique. Voilà comment se donner, même involontairement, une image de rétrograde réfractaire se contentant de vouloir tirer à boulets rouge sur un symbole plus que sur une réelle situation de scandale.

Du coup, la communauté, autrefois unanime derrière DVDjon se trouve aujourd’hui divisée entre ceux qui continuent à croire à un monde informatique sans DRM (ou sans Apple) et ceux qui veulent défendre une compagnie qui entend lutter contre le piratage par un compromis qui puisse arranger tout le monde. Les premiers prônent la libre utilisation des contenus achetés en oubliant de préciser qu’il est très facile de dé-protéger tout à fait légalement un fichier obtenu via l’iTunes Music Store (utiliser l’analogique ou le graver puis le ré-extraire juste après, par exemple) ; les seconds prônent l’adaptation aux impératifs économiques dans le respect de l’utilisateur en oubliant de mentionner qu’Apple continue de n’ouvrir son format qu’à un seul baladeur : le sien.

Et bonjour chez vous !