IV-15 (22/05/2005) : Accusé, taisez-vous !


Aujourd’hui, je vais tâcher de vous raconter une histoire édifiante sur la liberté d’expression et de critique, dont voici les protagonistes. D’un côté, nous avons Tegam International, est une société française qui vend un logiciel antivirus nommé ViGuard, et de l’autre, Guillaume Tena, alias Guillermito, est un chercheur en biologie moléculaire végétale, mais qui dispose également de solides connaissances en informatique et en cryptographie. Un jour que ce dernier en a marre de voir des publicités de l’éditeur Tegam vanter son produit par des slogans comme “il détruit 100% des virus connus et inconnus, passés, présents, futurs !” (il faut oser le dire sans rigoler), en bon scientifique, il décide de disséquer le logiciel et de publier le résultat de ses recherches. Conclusion sans appel : Viguard est une lamentable daube.

A partir de là, une réaction considérée comme normale eût été pour l’éditeur de contacter l’auteur de l’article pour obtenir des détails et tenter de corriger le tir. Surtout quand l’article propose gratuitement 14 améliorations très sérieuses pour améliorer le logiciel. Mais pas chez Tegam. Et c’est la machine d’indignation qui est mise en marche ici. Guillermito se voit ainsi traité de “terroriste recherché par la DST et le FBI” (quand on sait qu’il travaille aux USA post-11 septembre 2001, là encore il faut oser) dans un communiqué de presse. Le ridicule ne tue pas.

Par la suite, la société s’attache à pourrir la réputation du chercheur sur les forums consacrés à la sécurité informatique qu’il fréquente régulièrement. Et ce avec la complicité, apparemment involontaire, du Virus Informatique, un magazine d’actualité informatique très orienté sécurité et arnaques. Son rédacteur en chef a ainsi pris indirectement la défense de Tegam en refusant obstinément de mettre en doute les propos, au sujet de Guillermito, d’une personne, Danielle Kaminsky, une journaliste “bien informée”… qui se trouve également être à la fois l’attachée de presse de Tegam, la belle soeur du patron de Tegam et la tante de l’auteur de Viguard !

Mais le plus important reste à venir : en parallèle de ces manipulations, la société a porté plainte contre Guillermito pour “contrefaçon de logiciels”. Depuis quand, en pays libre, le fait de démontrer qu’un produit est mauvais est-il un acte de contrefaçon, passible de prison et de dommages et intérêts ? La réalité est fort simple : Tegam n’a pas accusé Guillermito de diffamation ou dénigrement car ce sont des accusations de fond. Or ViGuard est clairement un mauvais logiciel, d’autres tests l’ont démontré depuis, et même l’expert nommé par le juge d’instruction a reconnu que “Guillaume Tena disposait de compétences indiscutables en matière virale et anti-virale, et avait dénoncé avec pertinence les failles de cet antivirus”. Faute de fond, donc, on se rabat sur la forme : le “terroriste” a mené ses tests sur une version piratée de ViGuard ! Ouh, qu’il est vilain.

Hélas, on peut dire que la manoeuvre a fonctionné. En partie, du moins. Le chercheur a en effet été condamné à 5000 euros d’amende avec sursis pour contrefaçon de logiciels. Fondamentalement, le jugement est logique en soi : lorsqu’on prétend juger, il faut toujours obtenir ses éléments à charge de façon légale. En justice, par exemple, une preuve obtenue lors d’une perquisition non autorisée par un juge et c’est le vice de forme assuré.

Mais on ne peut que s’offusquer devant la bassesse de la manoeuvre effectuée par Tegam afin de faire taire Guillermitto qui n’a fait que donner tort, certes imprudemment, à une publicité mensongère. Par ailleurs, une exception à la règle de légalité des preuves est observée quand la santé ou la sécurité de personnes est en jeu : pourquoi ne le serait-elle pas également dans le domaine de la sécurité informatique, puisque de plus en plus d’informations confidentielles sont la cible de la cyber-délinquance ? Il suffit de regarder ce qui se passe ces derniers temps : le dernier grand sport de pirate à la mode dans les institutions américaines consiste à dérober les numéros de sécurité sociale du personnel et des étudiants, lesquels numéros retrouvent ainsi accessibles au public par millions.

Aujourd’hui, la situation est toujours en suspens : Guillaume Tena a fait appel de cette décision, 900 000 euros ont été requis comme dommages et intérêts… et jeudi dernier, la société Tegam a été mise en liquidation judiciaire. Voilà qui donne raison à un des points exprimés par le procureur présent à l’audience : “le marché est un mécanisme tout à fait apte à juger de la qualité d’un produit et à sanctionner ceux qui sont insuffisants.”

Et bonjour chez vous !