III-05 (13/12/2003) : Appel au civisme sélectif


La violence dans la vie, c’est mal. Et dans les jeux vidéo aussi, ce n’est pas moi qui vous dirai le contraire, surtout quand il s’agit d’une violence gratuite qui ne tire d’intérêt que de son réalisme. C’est pourquoi je suis plus que circonspect devant le succès des jeux dits “First-Person Shooter” qui ne présentent pas plus d’originalité que de rendre le plus fidèlement possible les giclements de sang, les gargouillement de gorges découpées et le bruit des os broyés. Et même si je n’ai pas le même avis face aux jeux violents mais présentant un intérêt réel ou un côté décalé qui permet de ne pas focaliser son cerveau sur le côté violent, j’ai assez facilement tendance à comprendre les personnes qui s’opposent tout de même à de tels jeux. En faisant preuve de ne serait-ce qu’un peu d’honnêteté intellectuelle, on ne peut que reconnaître qu’on ignore encore aujourd’hui les effet réels de la violence vidéo-ludique sur l’esprit, surtout chez les jeunes, pourtant leur cible de prédilection.

Et pourtant, l’affaire qui a lieu actuellement à New York est digne de gagner une jolie médaille du politiquement correct qui tourne à l’hypocrisie massive et méritant d’être montrée du doigt en tant que telle. L’objet du litige est le hit mondial incontesté “GTA : Vice City”, qui met en scène une lutte fictionnelle entre des gangs mafieux sans foi ni loi et qui n’hésitent pas à réduire à néant tout ce qui leur fait obstacle. Et il faut avouer que les concepteurs du jeu n’en avaient pas peur non plus, des obstacles, car il est littéralement possible de tout faire à la population de cette triste ville : les assommer, les descendre, les mitrailler, les brûler, les découper, les tronçonner, les écraser… Idem pour les forces de l’ordre qui tenteraient de s’interposer entre le héros du jeu et ses victimes. Et le réalisme assez relatif des situations n’excuse qu’à moitié une telle débauche d’incivisme.

Il était donc somme toute logique qu’une plainte soit déposée contre ce jeu. Mais contre toute attente, celle qui l’a été ne concerne pas les victimes innocentes du jeu ni sur les forces de police… mais sur la population hawaïenne des victimes, celles-ci ne concernant qu’une seule missions sur des dizaines proposées par le jeu, alors que les piétons et les flics sont, eux, à consommer sans modération. Vous l’avez deviné, il s’agit bien sûr de la population hawaïenne de New York qui entend frapper un grand coup, et ne voyant pas plus loin que le petit cercle de ses concernés directs. Difficile de ne pas entendre mentalement les plaignants dire “les autres peuvent bien se faire massacrer par centaines, on ne touche pas aux hawaïens !” Le refus de la violence est une chose bien trop précieuse pour la laisser se faire entacher par une vision aussi étriquée et par un détournement aussi égocentrique.

Réaction immédiate de l’éditeur, logique au pays du Melting-Pot : il a décidé de mettre le jeu à jour et d’éliminer la phase “tuer tous les hawaïens” du jeu (les plaignants s’étant bien gardés de préciser que les hawaïens en question formaient un cartel de drogue dans le scénario, qui met par ailleurs en scène une ribambelle d’autres criminels de tous horizons). L’ultimatum lancé a donc été respecté. Mais l’histoire en restera-t-elle là, comme le méritent toutes ces plaintes que la raison fait bien vite d’oublier, et à juste titre ? Pas besoin d’être grand joueur pour se rendre compte qu’une poursuite de l’éditeur dont ce jeu lui a rapporté des centaines de millions de dollars représente une fort juteuse tentation…

Si ça n’était pas le cas, on atteindrait alors une apothéose comme seuls les Etats-Unis savent en engendrer : une minorité d’opportunistes se voyant approuver une plainte qui représenterait une insulte, bien réelle, à l’égard des milliards de non-hawaïens du monde encore plus énorme que la violence commise à son endroit, pourtant purement virtuelle.

Et bonjour chez vous !