III-15 (13/06/2004) : Plus c’est gros, plus ça passe
La course au brevet logiciel le plus aberrant serait-elle lancée ? Vendredi 4 juin, un brevet accordé à Microsoft a été rendu public, et il est loin d’être anodin, puisqu’il couvre le lancement d’applications ou de documents grâce aux différents types de clic de souris ! Simple clic, clic prolongé et double clic, Microsoft est théoriquement à même de demander des royalties à quiconque utilise l’un de ces procédés dans un programme. Rassurons-nous un peu, seuls les appareils de poche tels les PDA et les PocketPC sont concernés, et ces dispositifs n’utilisent presque jamais de souris. Mais cela met une fois de plus en évidence le danger des brevets logiciels : Microsoft n’a inventé ni le PDA, ni la souris, ni la façon dont chacun peut être utilisé, et il se retrouve pourtant en possession d’une arme qui pourrait s’avérer redoutable si son champ d’action se trouvait étendu.
Soyons clair : il ne s’agit pas ici de vouloir jouer les arbitres et prétendre savoir à qui un brevet sied le mieux. L’US Patent and Trademark Office (USPTO) n’a pas manqué de préciser que le brevet sur le clic serait réexaminé si quelqu’un d’autre pouvait en revendiquer la paternité. Mais le problème de fond demeure : dès que le brevet est attribué une première fois, ce n’est qu’une question de savoir quel loup est entré en premier dans la bergerie. Et personne n’est innocent. Apple, par exemple, a récemment obtenu un brevet pour l’interface graphique de son iPod, alors qu’il s’agit beaucoup plus de design que d’une avancée technique réelle.
Certes, ce n’est pas la première fois que cela arrive aux Etats-Unis, d’aucuns diront même que c’est de bonne guerre. Et l’histoire aurait même pu paraître ironiquement amusante aux yeux des européens que nous étions il y a encore quelques temps. Et le “étions” est de circonstance, car comme beaucoup le craignaient, notre chère communauté européenne semble éprouver une irrésistible envie de suivre le même chemin ultra-permissif. En effet, malgré le vote du parlement de septembre dernier, relativement juste au final (autorisation des brevets mais sous réserve de critères très rigoureux et permettant leur infraction pour les dispositifs d’interconnexion entre différents systèmes informatiques), les ministres européens ont, le 18 mai dernier, purement et simplement ignoré tous les amendements apportés et conservé l’accord d’origine, encore plus libéral que celui des américains. Le vote s’est joué à quelques voix près, et c’est bel et bien la trahison des représentants français et allemand qui ont provoqué ce triste dénouement : Jaques Chirac avait publiquement exprimé son refus des brevets logiciels dès son élection de 2002 et le représentant allemand avait promis de voter contre quelques jours avant le vote. Inutile de vous dire que l’envie d’aller voter aujourd’hui pour les européennes ne se fait pas irrépressiblement sentir chez votre humble chroniqueur.
Si les choses ne s’arrangent pas d’ici le vote final sur les brevets en Europe, espérons qu’il apparaîtra alors vite une initiative comme celle initiée justement cette semaine aux USA par l’Electronic Freedom Foundation (EFF). Son “Patent Busting Project” est un concours public visant à désigner les brevets les plus abusifs. Les malheureux gagnants deviendront alors la cible d’une batterie d’avocats, juristes et experts en brevets qui feront tout pour faire annuler ces “offenses pour l’univers de la propriété intellectuelle”. Après la révocation du brevets d’Eolas sur les plug-ins internet qui avait fait risquer à Microsoft plus de 500 millions de dollars de dommages et intérêts, l’initiative n’est pas illusoire et a le mérite d’exister.
Et bonjour chez vous !