III-01 (28/09/2003) : Brevets d’table
Prenez un projet de loi que tout accable : une opinion publique massivement pas d’accord et le faisant savoir par de nombreuses manifestations et pétitions regroupant chacune des centaines de milliers de signatures et le refus de plusieurs associations défendant l’intérêt de ceux qui veulent réellement innover sans risquer d’être écrasés ainsi que plusieurs études démontrant de façon rigoureuse, en se basant sur une situation actuelle complètement vérifiable, que cette loi est néfaste.
Prenez ensuite plusieurs bons groupes de lobbying internationaux très endurcis à leur tâche dans un monde baignant déjà largement dans la sauce américaine et ses procédés de racket par les gros sur les petits.
Disposez tout ça dans un saladier hémisphérique dont vous aurez au préalable saupoudré le fond de députés globalement incompétents en matière de technologie et perdant tout recul dès qu’on les caresse dans le sens du poil en leur agitant sous le nez des billets de banque (même s’ils sont verts).
Laissez agir quelques mois, inutile de mettre au frais ou de protéger le tout de la lumière, le mélange est de toute façon auto-hermétique à toute remarque, critique, toute constructive qu’elle soit. Pour que ça aille plus vite, vous pouvez en revanche y laisser tomber quelques billets verts.
Au final, vous obtenez un vote positif à majorité absolue, tout beau et tout chaud, prêt à l’emploi.
Cette recette vous a séduit et vous voudriez pouvoir l’utiliser ? Eh là, jeune homme impétueux, il faut passer à la caisse avant, parce que je l’ai brevetée ! Comment ça, on n’a pas le droit de breveter une recette parce que ça relève d’une idée et que les idées appartiennent à tout le monde ? Il faut vous mettre à l’heure, le parlement Européen vient d’expédier cet état de fait, qui était certes établi jusqu’ici, aux oubliettes !
En effet, qu’est-ce qui ressemble plus au code-source d’un logiciel qu’une recette de cuisine ? Rassembler des ingrédients ou des variables, les traiter chacune d’une certaine façon et les mettre en commun dans un certain ordre pour arriver à un résultat escompté. Quand on y pense, heureusement que personne n’a pu déposer le brevet de la pizza margharita ou du baba au rhum ! Que les moyens de traitement mis en oeuvre soient des hachoirs ou des calculs mathématiques ne dépend que de la nature des éléments de base, le principe est rigoureusement le même.
Même si la situation n’est pas si noire qu’on aurait pu la présager avant le vote, notamment grâce à quelques amendements – très flous – qui ont réussi à se faufiler dans le texte final, probablement sans que nos chers euro-députés ne les remarquent (ou les comprennent), comme on dit toujours : c’est l’intention qui compte.
Et bonjour chez vous !