III-18 (01/08/2004) : Pire ratage


Les fidèles lecteurs de cette chronique se rappellent probablement des propos de Lamar Smith, un député Texan, en novembre 2002, qui disait en substance qu’un gamin devant un ordinateur était devenu potentiellement aussi dangereux qu’un criminel endurci ou un terroriste. Eh bien sachez qu’il aura fallu moins de deux ans pour que cette façon de voir les choses débarque en France. Et à qui doit-on cette avancée spectaculaire vers la cyber-répression généralisée ? Bingo, aux éditeurs de musique !

Revenons deux semaines en arrière : le 15 juillet dernier était lancée, sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy, l’élaboration d’une charte anti-piratage, prévue pour mettre d’accord les éditeurs, les détenteurs de droits d’auteur et les fournisseurs d’accès à internet. L’initiative semblait louable, car cela faisait un bon moment que régnait la cacophonie générale, chacun des trois pôles défendant ses intérêts sans dialogue possible. Mais l’issue de cette réunion, comme on pouvait le craindre, n’a pas laissé une seule chance aux internautes. Lesquels, d’ailleurs, n’étaient même pas directement représentés au cours des échanges. Les FAI n’ont pas eu d’autre choix que celui de rendre les armes face à l’oligopole des maisons de disque qui a déjà, rappelons-le, mis le gouvernement sous sa coupe à l’occasion de la LEN et a, tout de suite après, lancé ses premières poursuites judiciaires à l’encontre d’internautes au hasard, pour l’exemple.

Les règles imposées par cette charte se distinguent donc en trois parties :

– côté FAI, le schéma d’action est toujours le même : il faut empêcher les internautes de pratiquer le peer-to-peer à tout prix. Ainsi, les fournisseurs d’accès sont sommés de faire de retirer les messages suggestifs de leurs publicités, de faire de la prévention et d’envoyer des avertissements au moindre soupçon de cette honteuse pratique que celle d’échanger des fichiers. Et, sur injonction d’un “juge compétent”, ils devront couper l’accès. Enfin, en toute logique, la possibilité d’exiger un barrage de flux P2P est à l’étude.

– côté gouvernement, le point essentiel est la prévention dès l’école. Si si, dès l’école. Pour rappel, il aura fallu plus de 20 ans pour qu’enfin les premiers messages anti-obésité trouvent le chemin vers les salles de classe et les cours de récréation. Eh bien pour le piratage, dont les effets ne sont pourtant pas sanitaires mais purement économiques et privés, c’est allé dix fois plus vite. Sans commentaire.

– côté éditeurs, là par contre, c’est nettement moins contraignant. La seule exigence est celle de développer le commerce de musique en ligne et d’en faire passer le catalogue de 300 000 à 600 000 titres. Juste pour mémoire, la boutique en ligne d’Apple, lancé le mois dernier, en offrait d’office plus de 700 000. Autrement dit, engagement quasi-nul.

Rappelons qu’une charte n’a pas la valeur d’une loi, d’une ordonnance ou même d’une circulaire. Mais les acteurs au premier plan de cet accord de couiner quand même : les associations de consommateurs (notamment UFC-Que Choisir) et les internautes ne verraient de ce texte que ses aspects répressifs. Alors pourquoi avoir avoir choisi précisément cette occasion pour prétendre vouloir « faire de la lutte contre la piraterie sur Internet une priorité de l’action politique, policière et judiciaire », comme si le peer-to-peer menaçait la sécurité de l’Etat au plus haut point ? Entre les politiques qui craignent que les sites web publiques soient taggés par un petit malin et les éditeurs de musique qui redoutent de devoir adapter leur modèle économique aux réalités du web, qui a le plus peur du piratage, à votre avis ?

Et bonjour chez vous !

Note : que mes lecteurs me pardonnent, je souhaitais clôturer cette troisième saison de la Chronique de Celeri de manière plus distrayante et légère, mais hélas la réalité n’a pas manqué d’être là pour me rappeler que l’appétit et la mauvaise foi des grands groupes n’est pas atténué lors des périodes de vacances, fussent-elles estivales.

Bonnes vacances à tous !