IV-18 (24/07/2005) : Mon mot à moi


Rassurez-vous, pour ce dernier épisode de la quatrième saison de la Chronique de Celeri, je résisterai à la tentation de vous faire un long rapport sur le rejet total du si controversé projet européen de loi en faveur des brevets logiciels. Ce qu’il y a à en retenir est assez simple en réalité : grossièrement, les eurodéputés de gauche étaient contre les brevets logiciels, et ceux de droite sont pour mais craignaient de devoir soutenir des amendements contraires à leur opinion par la suite. “Pas de texte du tout vaut mieux qu’un mauvais texte”, ou quand deux buts différents se rejoignent quand même à la fin. La rancoeur très vive de l’ensemble du Parlement vis-à-vis de la Commission et de la façon dont elle l’a dénigré a fait le reste… Selon Libération, ce serait même la première fois que le Parlement enterre un texte dès la seconde lecture, avant même toute procédure de conciliation, ce qui en dit long. Heureusement pour tout ce petit monde, les vacances sont là !

Mais changeons de sujet, puisque j’ai annoncé que je ne m’éterniserais pas là-dessus. Car il n’y a pas que les brevets qui soient parfois absurdes : il y a aussi le dépôt de marques. Grâce à elles, aux Etats-Unis, même un mot du dictionnaire peut être pratiquement possédé par une personne. Le New-York Times a publié un article extrêmement intéressant qui révèle comment un entrepreneur de 59 ans peut clâmer la propriété du mot “stealth” (furtif) depuis maintenant 20 ans.

Le procédé est assez simple : par le biais de multiples dépôts de noms de produits en tous genres contenant le mot “stealth” (camouflage), Leo Stoller et son entreprise peuvent utiliser la loi sur les marques déposées (trademarks) pour agiter l’épouvantail de l’attaque en justice devant presque n’importe produit portant le même mot. La loi américaine est claire : si l’utilisation d’une nom semblable à une marque déposée peut induire une confusion chez le consommateur, il est illégal.

Cette plaisanterie, qui n’en est donc pas une, est même sans hésitation poussée jusqu’à l’extrême, comme en témoigne l’anecdote du groupe activiste “stealthisemail.com” (”Steal this email !”, soit “volez cet email !”), qui offre des exercices gratuits d’entraînement à la sécurité informatique sur le web et qui a dû abandonner son nom de domaine après que Stoller ait remarqué qu’on pouvait lire cette phrase comme “Stealth is email”. Certains dictionnaires auraient même renoncé à inclure le mot dans leurs pages, par précaution.

Mais quel intérêt d’empêcher de sortir des produits ? De quoi vit cette entreprise ? Eh bien, du fruit de la menace : “donnez-nous quelques milliers (de milliers) de dollars et nous vous promettons de ne pas vous traîner devant les tribunaux”. C’est ce qu’on pourrait appeller un business verbeux. Le nom et l’activité de cette entreprise ne laisse en effet guère de place au doute : Rentamark (”louez une marque”).

Pour arrondir ses fins de trimestre fiscal, elle propose également du conseil juridique en matière de marques déposées et de l’assistance pour écrire des lettres de mise en demeure pour des affaires de propriété intellectuelle. Du pur business à l’américaine dont même la caricature aurait du mal à grossir le trait, en somme.

Stoller a de la même façon acquis les mots”bootlegger”, “hoax” et “chutzpah” et se vante sans retenue des géants qu’il a fait plier, comme Kmart, Panasonic ou Sony Columbia Pictures. Avis aux petits malins : il reste plein de mots sympathiques à acheter, comme par exemple “cyber”, “digital”, ou “super”. Profitez-en : pour les marques, le “prior art” n’existe pas ! Prochaine étape, le magasin de mots (et le brevet qui va avec) ?

Et bonjour chez vous !

Voilà, la quatrième saison de cette chronique est à présent terminée, je remercie tous ceux qui en auront fait (ou subi) une lecture régulière. Au cas où vous n’en auriez toujours pas assez, je ne peux que vous inviter à parcourir mon blog, qui poursuit le même objectif que cette chronique mais sous une forme plus dynamique et agréable ! Mais profitez tout de même de l’été pour vous vider un peu la tête de cette actualité technocratique qui ne manquera pas de reprendre sur les chapeaux de roues dès la rentrée. Sur ce, bonnes vacances !