Rideau
Voici une petite nouvelle de Science-Fiction que j’ai écrite en début 2002. Les influences sont multiples et l’idée pas très nouvelle, mais j’ai essayé de soigner le style et le caractère des personnages, malgré le fait qu’ils essayent de le masquer dans leurs récits… ;-)
1 – Journal du Grand Exécuteur, le 01/03/2137-VII
La date du Septième Rideau est connue depuis un certain temps déjà, mais c’est aujourd’hui qu’il me faut lancer la procédure. Le Conclave a en effet décidé que l’Humanité actuelle méritait qu’on procède à la purification en règle de leur connaissance des choses et de ce qu’ils sont. Et c’est le 11/03/2137-VII, c’est à dire dans dix jours terrestres, que l’Homme de maintenant s’éteindra pour renaître et repartir de zéro. Ou presque.
J’ai beau avoir été nommé Grand Exécuteur dès lors que cette fonction fut créée, j’ai encore aujourd’hui certaines difficultés à m’y habituer. Il faut dire que le choix de ma candidature n’avait pas été le fruit du hasard, puisque j’étais à l’époque celui parmi mes semblables qui m’étais le plus instruit sur l’espèce humaine. Ce furent d’ailleurs probablement les meilleures années de ma vie que celles où, à mi-chemin entre l’autodidacte et l’élève modèle, j’ai accumulé une quantité énorme d’informations sur les hommes, leur nature, leurs habitudes, leurs sentiments, leurs peurs et ce qu’ils représentent pour nous. A l’étonnement de tous mes congénères, j’ai fini par développer une véritable passion pour tout ce qui concernait ces mammifères qui n’ont au final pour eux que le fait d’avoir un cerveau s’étant développé plus vite que celui des autres espèces. Aussi, même s’il est courant chez nous de changer d’activité, je compte bien ne jamais renoncer à la mienne et poursuivre mon but jusqu’à la fin.
Quand j’y repense maintenant, je me rends compte que, même si ce sont en grande partie nos enfants et que nous avons nos raisons, nous ne les traitons pas vraiment avec respect. Aussi, le sort que nous leur infligeons à intervalle régulier résonne toujours en moi un peu comme une profonde infidélité. Après tout, ce n’est pas les récompenser que les priver de toutes les possibilités que leur confère leur évolution, laquelle demeure somme toute assez naturelle. Mais je me dois de penser aussi à mes semblables et des risques qu’ils encoureraient si je venais à remettre en question l’événement que je suis chargé de provoquer. Aussi, je me console en pensant qu’après tout, le fait de “ne pas avoir le temps de savoir” épargne à ces hommes une douloureuse désillusion et à nous les redoutables conséquences qu’entraînerait celle-ci. J’assume donc entièrement la tâche qui m’a été confiée.
Nul doute que bon nombre de mes frères sont persuadés que ma tâche figure parmi les plus faciles qui soient. Et pourtant, je reste convaincu qu’il faut à la fois beaucoup de courage et d’abnégation pour arriver à accepter jusqu’à l’instant fatidique l’idée de détruire soi-même ce dont on a surveillé la lente maturation pendant tant de temps. Et que c’est justement là que réside, je pense, toute la force que me confère mon admiration pour l’espèce humaine : celle de toujours porter en soi un espoir de la voir se purifier à chaque renouvellement, et ce malgré les spectacles parfois déprimants qu’elle nous offre. J’en connais en effet beaucoup qui aimeraient qu’on arrête toutes ces recherches et qu’on reprenne la place qui était autrefois la nôtre.
C’est en méditant ces choses-là que je me suis préparé à lancer la procédure. Il me restait juste à trouver un nom de code pour ce Rideau-ci, comme j’ai décidé de le faire à chaque fois. Et après quelques rapides séances de ce que j’ai baptisé mon “humanoscope” afin d’imprégner ma mémoire de cette version de l’Homme que je suis censé ne plus fréquenter, j’ai eu envie de l’appeler “Espoir”. L’optimisme est une qualité, dans mon métier.
2 – Observatoire de Newcastle, le 04/03/37
Rapport d’observation, par le Professeur Rosenberg :
«Dans la nuit du 04/03/37 à 01 h 18, une variation dans la configuration des astres célestes a été observée par le télescope principal, “Spectacles”. Il semble qu’un corps pouvant à première vue être qualifié de comète soit tout d’un coup apparu en plein milieu de la constellation du Sagittaire. Et en effet, après recherches, il s’avère qu’aucune comète connue n’était à trouver ici et maintenant.
Il a été également observé que le mouvement de cette comète ne semble pas suivre une trajectoire logique au vu de sa nature et de son gabarit.
De plus, les premières images retouchées par nos algorithmes d’interpolation optique, pourtant habituellement très efficaces, ne nous ont donné que des résultats contradictoires.
En conclusion, je déclare cet astre comme étant à surveiller en priorité, du fait des nombreuses interrogations qu’il suscite. Je considère “Spectacles” comme d’ores et déjà mobilisé à cent pourcent sur cette tâche, et je prévois d’affecter d’autres moyens sur ce sujet d’observation. »
3 – Journal du Grand Exécuteur, le 04/03/2137-VII
Après avoir exploré bon nombre des archives conservées ici officiellement et de celles que je garde par moi-même, je dois avouer qu’il me reste l’étrange impression que nous sommes passés à côté d’une Humanité qui aurait enfin été susceptible de répondre à nos attentes. Et je suis bien obligé de reconnaître que même moi, dont c’est pourtant la tâche – et la passion – n’ai peut-être pas eu la clairvoyance qu’on attendait de moi.
Je suis de plus en plus convaincu que nous nous trouvons en face d’un humain d’un genre assez nouveau. Ou plutôt, ne nous emballons pas, qu’il ressemble aux autres mais avec quelque chose de différent. Quand la majeure partie de ses précédentes versions n’avaient principalement basé leur évolution que sur une force principale, comme leur faculté à maîtriser leur environnement ou la technologie, nos derniers sujets actuels ont cherché à diversifier leurs capacité de façon assez large. Ils donnaient même l’impression d’être convaincus que le bonheur existe et que c’est une affaire d’efforts à fournir, ce qui est plutôt inédit. Bien sûr, ce trait de caractère n’est pas non plus totalement nouveau, mais je pense que jamais je n’ai ressenti un tel degré dans la volonté de vivre et de progresser chez les humains.
D’autre part, alors que l’ensemble des cycles que nous avons initiés et observés jusqu’ici avaient comme principal point de commun celui d’aboutir à quelque chose qui soit bien loin d’être parfait, celui auquel nous avons affaire actuellement fait preuve d’une qualité qu’on n’avait pas observée précédemment : une réelle activité créatrice et imaginative, ce dont je ne me suis vraiment aperçu que récemment. Peut-être mon poste aurait-il besoin d’être secondé ?
Mais foin de ces questionnements, il me faut surtout continuer à surveiller de près la réaction des quelques humains qui ont déjà détecté la présence de notre émissaire. L’information risque d’être très vite répandue, et connaissant d’autre part les effets induits par son approche, je ne peux pas m’empêcher d’être inquiet.
4 – Bulletin d’informations, le 05/03/37 à 16 h 42
« – Nous avons appris, il y a de cela quelques minutes, la destruction totale du bâtiment principal de l’observatoire sied à Adélaïde. La structure a été littéralement soufflée par une puissance destructrice qui étonne encore les experts.
L’explosion et l’effondrement qui en a découlé se sont produits à une heure de pleine activité et les bilans préliminaires font état de plus de cent morts pour le double de blessés.
Les autorités sont immédiatement arrivées sur les lieux mais n’ont pu que constater les dégâts, rien n’étant a priori récupérable, pas plus que les recherches n’ont apporté de nouveaux indices révélateurs.
La cause officielle est encore inconnue, les enquêteurs hésitant entre l’hypothèse d’un accident et celle d’un attentat perpétré par une personne extérieure au centre, malgré la grande sécurisation du site et le fait qu’aucune avertissement n’a été lancé et qu’aucune personne ne semble avoir remarqué quoi que ce soit d’inhabituel avant la catastrophe. »
5 – Journal du Grand Exécuteur, le 06/03/2137-VII
Cela fait maintenant à peine quatre jours terrestres que la procédure a débuté, et je dois avouer que je ne m’attendais pas à ce que les hommes en détectent l’existence si vite. Sans pour autant sous-estimer la qualité technique des équipements d’observation de l’espace qu’ils ont construits, je pensais sincèrement que les premiers signes de ce nouveau Rideau passeraient inaperçus au moins quelques jours de plus. Notre émissaire aurait-il perdu de sa discrétion ? Il va falloir être un peu plus vigilant que prévu.
Néanmoins, il ne s’agit que d’un repérage scientifique, donc très certainement à mille lieues de compromettre la procédure. J’avoue que d’un côté, le contraire m’amuserait, mais je me garde bien d’en parler avec mes frères du Conclave. Ma position pas toujours très objective vis-à-vis de mes sujets aurait trop vite fait de relancer ce débat que je veux éviter à tout prix, étant donné qu’il se résume toujours à moi contre les autres. Toujours est-il qu’il m’est arrivé plusieurs fois d’être saisi par la faculté qu’ont eue bon nombre d’hommes à envisager et imaginer l’existence de forces conscientes étant supérieures à leur propre nature.
Durant les derniers milliers d’années terrestres, certains écrits humains étaient très en vogue, et il m’était plus d’une fois arrivé de me demander sur le ton de la plaisanterie si ce que les peuples terriens appelaient “prophètes” n’avaient pas eu accès à certaines informations nous concernant. Je me souviens même avoir vaguement imaginé un scénario cocasse mettant en scène des hommes devenant des sortes d’agents doubles entre les humains et nous. Beaucoup avaient trouvé mes idées de fort mauvais goût, évidemment. Comme quoi on peut toujours se vanter d’avoir atteint la sagesse qui fait qu’on ne subit plus de guerre… Moi je suis toujours convaincu qu’un peuple qui accepte de se remettre un peu question a tout à y gagner. Heureusement d’ailleurs qu’il reste un certain nombre, parmi les décideurs du Conclave, de ceux qui avaient lancé l’opération des Rideaux. Selon moi, ce sont eux les vrais sages et je les admire sincèrement pour ce qu’ils ont eu le courage de faire.
6 – Journal du Professeur Rosenberg, le 07/03/37
Que peut bien cacher cette comète ? D’abord, elle apparaît comme par magie au milieu de nulle part. Du jamais vu dans cet espace qui certes nous dépasse largement, mais que nous connaissons tout de même assez bien par expérience pour savoir que ce qui se passe n’est pas normal !
Ensuite, sa trajectoire est vraiment très étrange et semble défier les lois de la physique dont nous avons connaissance à l’heure actuelle. Elle ne se déplace certes pas de façon anarchique, mais quelque chose n’est pas normal. Les ordinateurs et leurs dispositifs optique de mesure et de vecteur-vitesse sont formels : une donnée dans leur direction varie de façon légère mais fréquente. Ils ont même mesuré, l’espace d’un instant, qu’elle se dirigeait vers la Terre !
Et puis j’ai l’inquiétante sensation que quelque chose a changé au laboratoire. L’ambiance n’est pas la même que d’habitude et les esprits semblent très tendus parmi mes collègues. Et là encore, tout a commencé avec cette comète, plus précisément à partir du moment où on a pu commencer à l’observer. Curieusement, personne ne voit la même chose, certains allant même jusqu’à prétendre ne rien observer. C’est la première fois qu’on dénigre mon travail de la sorte, et je dois avouer que j’ai du mal à comprendre ce qui se passe.
A ce propos, en tant que responsable de cette découverte, j’ai choisi de partager l’information avec le monde des scientifiques en observation spatiale, afin que nous soyons en mesure de recueillir le plus de données possible. Et force est de constater que… rien ne concorde, rien n’est logique. Je me souviens clairement de ce que j’ai vu, plusieurs unités d’observation disent avoir détecté quelque chose de louche à certains instants, mais jamais au même moment et de manière cohérente. Et là encore, tout le monde commence à se disputer. Beaucoup, et pas forcément des moins pacifiques, donnent même l’impression de se désintéresser de la comète en elle-même, préférant se lancer dans des affrontements aussi inutiles qu’inexplicables.
En mission depuis plusieurs jours mon équipe et moi, nous n’avons pas pu mettre les pieds à l’extérieur de nos locaux de travail. Et pourtant, ce n’est pas l’envie qui me manque de sortir un peu d’ici. L’ambiance est plus pesante d’heure en heure et je dois rester seul dans mon bureau pour éviter que ma tentation de fuir à toutes jambes prenne le dessus. Je repense à mon quartier tranquille, à ma famille, sans doute en train de paisiblement vaquer à ses occupations, loin de ce sentiment d’oppression de plus en plus étouffant.
Et pas de nouvelles non plus de mes collègues d’Adélaïde, qui m’ont pourtant contacté peu après l’appel ouvert que j’ai lancé afin de savoir si quelqu’un avait observé la comète avant nous. Ils m’avaient pourtant l’air très excités eux aussi…
Je vais finir par croire que cette comète abrite une sorte d’esprit malsain qui, d’une manière ou d’une autre, affecte ceux qui ont eu le malheur de la regarder en face.
Et j’ai un gros frisson…
7 – Journal du Grand Exécuteur, le 08/03/2137-VII
L’aboutissement du Septième Rideau se produira dans deux jours et, finalement, tout se passe à peu près conformément aux prévisions. Mais ça ne m’empêche pas de ressentir de plus en plus vivement ce tiraillement au cœur, caractéristique de l’approche du moment fatidique. Car si je souffre en tant qu’artisan, j’ai mal aussi pour ces humains qui sont en train de tout perdre. Je me suis souvent demandé si eux aussi souffraient, à cet instant-là des rideaux. Certains ayatollahs du Conclave m’ont affirmé que non, mais j’ai du mal à les croire.
Il faut dire que l’émissaire dont nous utilisons les services, si j’ose dire, ne fait pas dans la dentelle lors de la “grande lessive”. Combien j’aimerais qu’on trouve enfin un moyen plus moderne de procéder aux Rideaux ! Mais, il ne faut pas rêver, ça ne fait clairement pas partie des priorités du Conclave. Ben voyons, c’est pas eux qui assistent à l’écroulement du château de cartes qu’ils ont passé des millions d’années à construire.
Je disais donc que tout se passe normalement du point de vue de l’opération. En fait tout, sauf un détail : je dois reconnaître que sans le cas isolé du dénommé Rosenberg, un scientifique australien de Newcastle, je serais bien plus tranquille. Car en plus d’avoir perçu les effets de notre comète avec promptitude et une lucidité fort inhabituelles, ces derniers n’ont pas l’air de l’affecter. Autant que je sache, il s’agit de quelque chose d’inédit dans les annales des Rideaux.
Il faut regarder les choses en face : en tant que responsable de l’opération, je me dois de tenter d’en savoir plus. Et même si je sais que je ne peux pas compter sur le soutien du Conclave, j’envisage de plus en plus sérieusement d’entrer en contact avec Rosenberg. Quitte à le faire à l’insu de mes frères (et surtout de mes supérieurs), je veux savoir.
8 – Enregistrement audio du Professeur Rosenberg, le 09/03/2137
« – Bilan des opérations d’aujourd’hui : néant. Je n’en sais pas plus sur cette sacrée comète et voilà trois jours maintenant que je dois me cacher dans mon bureau en permanence. Je profite d’une apparente et soudaine accalmie pour enregistrer mon journal, car je ne pense pas avoir le temps de l’écrire. Je pense tenter de m’échapper d’ici dès demain, car je ne supporte plus cet endroit. Avec les bruits de dispute monstrueux que j’ai entendus sans discontinuer depuis tout ce temps et le fait que plus aucun contact avec l’extérieur ne soit possible, je n’ose même pas imaginer l’état de mon labo. J’aurais aimé pouvoir poursuivre mes recherches sur cette comète, mais on dirait bien que le simple fait de l’observer a des conséquences sinistres. Tout de même, quelle histoire… Il y a quelques jours encore, je me contentais de noter la présence d’un astre étrange dans l’espace et aujourd’hui… J’aimerais tant comprendre ce qui s’est passé mais…
–…Mais ça ne vous sera pas possible tout seul.
– Hein ? Qui est là ?
– Peu importe. Le, hum… “professeur” Rosenberg, c’est vous ?
– Eh bien oui, mais… Vous pourriez vous montrer ?
– Ah oui, excusez-moi. J’ai dû faire un peu de ménage pour arriver jusqu’ici, tout en restant discret autant que possible.
– …Ménage ?
– Bon, je ne dispose pas de beaucoup de temps, mais votre cas m’intéresse, ce pourquoi je suis venu vous voir, à propos de ce que vous avez découvert récemment.
– Ah, ne m’en parlez pas ! Cette comète a réussi, je ne sais comment, à tout mettre sens dessus dessous dans cet observatoire. Je ne reconnais plus mes collègues et je suis obligé de m’enfermer ici, comme si leur comportement était contagieux, et tout ça depuis qu’elle est apparue. Je n’y comprends plus rien !
– Je ne pense pas vous rassurer en vous disant que c’est normal, dans la mesure où c’est l’effet attendu. Et, pour votre information, c’est loin de n’être localisé que dans les limites de votre laboratoire.
– Pardon ?
– Je n’ai théoriquement même pas le droit de vous révéler ce que vous venez d’apprendre, et encore moins les raisons de cette opération. Néanmoins, vous saurez, vu que j’ai décidé de faire un écart à la règle. Puisque vous êtes le seul humain sur qui notre instrument n’a pas eu d’effet, j’ai décidé que vous méritez au moins cet égard d’information. Mais sachez que ce que vous découvrirez sera particulièrement difficile à supporter, et que vous n’aurez pourtant aucun pouvoir d’intervention. Sommes-nous bien d’accord ?
– J’imagine que je n’ai pas le choix.
– Bien vu. Etant donné que vous êtes humain, la procédure dit que je suis censé vous éliminer. Comprenez donc que je vous fais là un cadeau, mais qui pourrait se révéler empoisonné pour vous.
– Inutile de continuer, j’ai pris ma décision. Je marche. J’ai voué toute ma vie à comprendre quelle est notre place dans l’Univers et mes dernières heures plus précisément à savoir ce qui se cache derrière cette comète, les deux sans succès. Si ce que vous me proposez peut répondre à ne serait-ce qu’un seul de ces points, je vous suis.
– Bien.
– J’aimerais tout de même vous redemander qui vous êtes et ce qui s’est passé exactement dans mon labo.
– Je n’entrerai pas dans les détails ici, ça risquerait de vous faire changer d’avis et je préfèrerais ne pas être venu pour rien. Patience, vous saurez tout. En attendant, il faut partir d’ici.
– Est-ce que je dois amener quelque chose avec moi ?
– Ce que vous voulez, sachant que vous ne remettrez jamais les pieds dans ce monde-là.
– Ah… Je vais prendre avec moi la photo de ma famille, mon journal et mon enregistreur.
– Ah, ces humains et leur rapport tendu avec leur passé… Amenez avec vous vos notes et vos informations concernant la Comète, cela pourrait vous aider à mieux comprendre tout ce qui vous a échappé.
– Si vous le dites.
– Bien. Sur ce, partons. »
9 – Journal du Grand Exécuteur, le 000000000001/VII-VIII
Le septième Rideau vient de se terminer, mais il reste un humain encore en vie. Il y a trois jours terrestres, j’ai finalement ramené Rosenberg ici avec moi. C’est essentiellement par curiosité que je suis allé à sa rencontre, et c’est avec conviction et respect pour son courage que j’ai décidé de lui révéler ce qu’aucun humain n’a jamais su, toutes versions confondues. Contrairement à ce que je pensais, il a été assez facile de le convaincre et a l’air de plutôt bien tenir le coup, alors qu’il a quand même assisté à l’anéantissement de son espèce.
Le Conseil n’est pas encore au courant, et je peux être sûr d’avoir un peu de mal à justifier mes motivations. Je crois en effet que cette version-ci des humains a passablement agacé mes supérieurs à cause de la difficulté que nous avons éprouvée à en comprendre les individus. Toute civilisation porte des contradictions, mais il est évident que celle-ci nous a, à tous, donné l’impression de cultiver le goût du paradoxe. Je vois d’ici les moments difficiles à l’heure du bilan de cette Septième Humanité… Enfin, ce sont les inconvénients du métier.
Cela dit, je dispose quand même de cartes à abattre, qui sont en fait des problèmes qui n’ont été que partiellement soulevés par les membres du Conclave. Le premier est un que j’aimerais rapidement voir émerger à nouveau : celui des indices laissés involontairement à la portée des humains suivants après chaque Rideau. Notre technique d’élimination a beau être efficace et relativement propre du point de vue organique, elle ne nous épargne pas la tâche de devoir effacer les structures matérielles ainsi laissées à l’abandon. Et comme les nettoyeurs disposent d’autant de temps que cela peut leur en demander, je trouve qu’une certaine négligence commence à s’installer. Et c’est évidemment sur moi que retombent les ennuis, comme ça a été le cas après l’histoire de Roswell il y a maintenant presque deux cents ans.
Le deuxième problème que je compte bien souligner est la passivité qui menace de devenir le principe de base au Conclave. Dans mon esprit, il est évident qu’engendrer une race de vainqueurs à la sagesse aussi développée que l’intelligence ne se fera pas sans une participation active et réfléchie de l’ensemble d’entre nous. Et même si nous avions misé beaucoup d’espoirs et d’énergie sur cette sixième version, j’ai la sévère impression que le relâchement général qui a caractérisé ce cycle-là a gâché une bonne occasion de réussir. Je suis en effet de plus en plus persuadé que nous aurions pu trouver le succès cette fois-ci et j’espère parvenir à le démontrer, histoire de pousser mes collègues à plus d’implication.
10 – Journal du Professeur Rosenberg, le 000000000032/VII-VIII
Je me doute bien que plus personne que j’ai connu sur Terre ne lira ce journal, mais j’ai quand même décidé de continuer à l’utiliser. Ce qui était jusqu’à présent un outil de travail est devenu un recueil personnel de mémoires et je compterai désormais sur lui pour ne jamais oublier ce que je viens de commencer à vivre, loin de la civilisation dont je faisais autrefois partie.
Je dis “autrefois” en connaissance de cause. C’est que depuis que j’ai accepté d’accompagner un étrange individu se faisant appeler ici “Grand Exécuteur” (exécuteur de quoi, au fait ? d’ordres ? d’individus ?), je ne fais officiellement plus partie du peuples des humains. Ou plutôt de ce peuple d’humains-ci, dans la mesure où il ne s’agit pas du premier. La civilisation dans laquelle je me retrouve est en réalité un peuple restreint mais puissant et caché qui se sert de la planète pour “élever” des humains en vue de plusieurs objectifs, tous convergeant vers l’idée de créer un peuple assez mûr et sage pour “mériter” de dominer la Terre. Et, tout comme les six précédentes “versions” (comme ils les qualifient apparemment), la nôtre ne les a pas satisfaits. Ils l’ont donc éliminée. Et leurs premières victimes n’ont été autre que le personnel de l’observatoire d’Adélaïde : ils en ont trop vu, trop tôt.
Après mon “transfert”, j’ai pu observer ce qui se passait sur Terre. Et je crois bien que personne ne pouvait imaginer la “fin du monde” comme ça. On pensait avoir fait le tour des possibilités, des plus courtes (bombes à forte puissances diverses et variées) aux plus expéditives (Dieu ou Satan faisant tout brûler), mais pas ça. Quand on sait que notre humanité a mis des millions d’années à se développer et à se façonner un monde à l’échelle de ses besoins croissants de façon exponentielle, on ne peut pas s’attendre une seconde à la voir finir de cette façon. Et même chez ceux qui envisageaient la possibilité que ce soit l’homme qui se détruise tout seul, je doute qu’on ait pu entrevoir ce spectacle.
Je me rappelle avoir trouvé, dans le temps, certains reportages sur les combats entre fourmilières et autres guerres de jungle assez horribles, mais ce n’est décidément rien à côté de ce que peut faire l’homme revenu au stade le plus primaire, ayant perdu tout d’un coup tout ce que le développement de son intelligence et de sa société a pu lui apporter.
J’ai mis plusieurs jours à me remettre de ce que j’ai vu. Au début, j’ai même cru que c’était un cauchemar, cette vision de notre fin était trop horrible. Le Grand Exécuteur m’avait prévenu que ce serait dur, mais comment se préparer une telle vision ?
Et puis, d’un autre côté, se rendre compte qu’on s’est cru être une espèce supérieure et libre pendant toute sa vie alors que la réalité était toute autre et que nos juges restaient dans l’ombre n’est pas une chose agréable non plus.
C’est alors que mon hôte m’a révélé une facette qu’il m’avait jusqu’alors cachée : c’est un humaniste, si on me passe l’expression. Il occupe sa fonction avec une réelle bienveillance et aime ce qu’il réalise. On pourrait lui reprocher une attitude de grand seigneur doublé d’un cynisme assez aiguisé, mais depuis le temps qu’il observe des humains qui, comme il le dit, passent leur temps à se taper dessus sans penser avoir mieux à faire, je le comprends un peu. Quant à sa vision de l’humanité parfaite, que bon nombre d’entre nous aurait jugée simpliste et utopique, elle a le mérite de se baser sur beaucoup d’expérience. Et d’échecs, me souffle-t-il ironiquement alors que je lui soumets cet opinion tout en l’écrivant.
Il a pris le temps de m’expliquer dans le détail leur façon de procéder à leur “cuisine”, laquelle, je m’en suis peu à peu rendu compte, était plutôt permissive envers nous. Leur approche consiste en effet à provoquer la naissance des premiers individus selon des plans techniques qu’ils élaborent, puis à les laisser évoluer librement au gré de l’environnement et, plus tard, de leur volonté propre, jusqu’à ce qu’ils soient sûr de devoir trancher la question finale. Quelques interventions directes sont possibles grâce à leurs pouvoirs de connaissance, de morphogenèse, de camouflage et d’armement, mais réservées à des situations les justifiantde manière évidente.
Quelques mots au sujet de mes hôtes, avant de poursuivre avec mes impressions personnelles. J’ai d’abord cru que c’étaient des hommes, mais ce n’est pas le cas. Le premier d’entre eux que j’ai vu lorsqu’il est venu à ma rencontre avait simplement pris une apparence humaine. Il m’a alors emmené “chez lui”, un endroit que je serais bien incapable de définir, tant il semble à la fois loin et proche de mon ancien monde. C’est un lieu où, étrangement, l’obscurité est plus importante mais moins oppressante que dans la société humaine que j’ai connue. La vie y est, globalement, beaucoup plus lente que chez nous, ce qui peut se comprendre quand on sait depuis combien de temps chacun d’eux vit.
Je suis encore loin de tout savoir sur eux, étant donné que j’y suis encore en tant que demi étranger, mais j’en apprends régulièrement en discutant avec mon nouvel ami, qui me consacre beaucoup de son temps. La première chose qui m’a interloqué est l’espèce de laquelle ils sont issus : les dinosaures ! Et dire que nos “experts” étaient persuadés qu’ils avaient tous été éliminés… L’hypothèse couramment admise était qu’un astéroïde avait frappé la planète. Mais comment auraient-ils pu savoir que tout cela n’avait été que le savant maquillage d’une toute autre réalité ?
Physiquement, ils sont plutôt loin de l’image que nous avions des dinosaures. S’ils ont vaguement gardé une apparence reptilienne, ils sont nettement plus petits et avec une morphologie assez proche de la nôtre. Ils n’ont aucun des organes offensifs que nous leur prêtions, et ont une démarche souple inspirant plus la sérénité qu’une quelconque agressivité et qui, combinée à leur taille légèrement supérieure à la nôtre leur confère une stature proprement impressionnante de force tranquille. Plus intéressant encore : ils n’utilisent ni la parole ni de sons pour s’exprimer : chez eux, tout passe par les ondes psychiques. Et c’est grâce à un dispositif que le Grand Exécuteur a fait fabriquer dans le cadre de son travail que je peux comprendre tout ce qu’ils se disent entre eux. Je dois reconnaître d’ailleurs que c’est une étrange sensation que celle de parler par la pensée, dans la mesure où lorsque quelqu’un s’exprime, on sait intuitivement de qui il s’agit, même sans disposer des indices typiquement sonores comme le timbre de la voix où la provenance spatiale du son. Concernant leur vêture, force est de constater leur goût pour les teintes sombres, rapport probable à leur statut d’opérateurs discrets, de maîtres dans l’ombre.
A la question de savoir pourquoi son peuple s’occupaient ainsi d’ “élever de l’humain”, il m’a immédiatement répondu : « Pour vous pardonner. » Il m’a ensuite raconté leur douloureuse histoire, dont la période à laquelle nous attribuions la disparition des dinosaures était la plaque tournante. Avant cela, les pionniers de l’espèce humaine cohabitaient avec les dinosaures de façon pacifique mais séparée, un peu comme si le monde eût été divisé en deux pays. Chacune des deux civilisations s’était développée à sa façon, chaque espèce représentant le fleuron de sa famille : les dinosaures à la tête des reptiles, les humains à la tête des mammifères, mais chacun ayant accepté de laisser vivre chez eux les autres espèces de chaque famille. Les échanges existaient, mais étaient peu nombreux et avaient parfois des incidences néfastes sur les relations entre les deux espèces. Les dinosaures prenaient ces événements sans inquiétude, jusqu’au jour où ils découvrirent le plan diabolique que les humains fomentaient dans le but de les éradiquer.
Ce fut alors le début d’un enchaînement dramatique de destructions. Un groupe de dinosaures, formé de rebelles qui projetaient de dominer la planète, profita de la confusion semée parmi les autorités pour accéder aux plans d’utilisation d’une arme ancestrale extrêmement dangereuse, qui était conservée dans le plus grand secret par l’exécutif depuis des millénaires. Il s’agissait d’une sorte de comète contrôlable au moyens d’anciennes arcanes et dont la lumière rayonnée avait le pouvoir de semer le trouble dans les organismes biologiques doués d’une intelligence supérieure et ainsi la terreur parmi ces êtres. Mais les plans de cette arme ayant été partiellement perdus, ces rebelles la maîtrisaient mal et, si les humains furent effectivement tous éliminés, une énorme partie de la population dinosaure fut également touchée. Et tous les survivants perdirent toute possibilité de reproduction naturelle.
Devant l’ampleur des dégâts, le pouvoir en place voulut immédiatement pourchasser les coupables, mais les principaux chefs guerriers étaient déjà partis avec leurs plans d’invocation de la fameuse comète. Se sachant condamnés à disparaître à plus ou moins long terme, les décideurs dinosaures dûrent alors prendre une décision difficile : celle d’accepter de laisser la Terre à des “successeurs”, capables de dominer la planète, mais avec sagesse. Mais ils comprirent bien vite que s’ils envisageaient de réhabiliter les humains, les rebelles exilés ne l’entendraient sûrement pas de cette oreille. Leur haine envers cette espèce qu’ils qualifiaient, avec suffisance et une évidente mauvaise foi, de “honteusement machiavélique” n’allait pas disparaître de sitôt. D’autre part, il fallait que la civilisation dinosaure dispose d’un moyen fiable d’avorter sa création dans le cas où les résultats ne seraient pas satisfaisants.
C’est ainsi qu’ils décidèrent de proposer un marché aux “exilés”. Il faut préciser qu’à ce moment-là, les chercheurs rattachés au pouvoir disposaient depuis peu d’un moyen de ne plus craindre la vieillesse et donc la mort naturelle. Ils n’en avaient pas fait état publiquement, estimant que leur société n’en avait pas besoin. La proposition était la suivante : en échange du moyen en question, les exilés devaient mettre à disposition des “natifs” leur arme. Ceux-ci acceptèrent mais, craignant que les autres ne l’utilisent aussi contre les rebelles, seulement à condition d’en assurer l’utilisation eux-mêmes, tout en proposant, comme garantie aux natifs, un dispositif de défense. Le pacte fut scellé, et les expérimentations purent commencer.
Quand, plus tard, je lui ai demandé ce qu’il pensait, personnellement, de mon monde, il a pris le temps de m’exposer son point de vue avec force détails. Et si j’en crois ce qu’il m’a dit, il nourrissait de grands espoirs pour la suite, grâce à nous. Il m’a dit trouver que nous avions été une “version” fort intéressante, dans la mesure où nous avons cherché à nous développer de façon complète, aussi bien du côté technologie que spirituel et social. Bien sûr, il a tout de même mentionné que nous demeurions une espèce qui n’a jamais su faire fi des multiples paradoxes accompagnant les différentes étapes de l’évolution, pas plus que nous n’avons fait l’effort de nous débarrasser de nos vieux démons, d’où nos éternels désaccords et nos incessantes guerres.
Selon lui, notre dernier et ultime échec fut le sort que nous avions réservé à leur représentant qui nous avait été envoyé il y a maintenant un peu plus de deux mille ans (je n’ai compris que plus tard qu’il s’agissait de lui-même). Refus de l’inconnu et volonté de l’homme d’imposer sa toute-puissance avaient forcé le départ de cet être qui s’était pourtant donné pour objectif de nous amener à corriger ces défauts, et ainsi pouvoir peut-être devenir les “Grands Elus”. Pire, plusieurs religions avaient profité de lui pour se fabriquer de faux arguments en détournant les faits et les paroles de ce singulier et unique personnage. Je lui ai avoué ne pas être fier de nous sur ces points. Ce à quoi il a répondu, non sans ajouter avec ironie qu’il en aurait fallu beaucoup plus qu’une croix et une lance pour se débarasser de lui s’il avait vraiment voulu rester et qu’il avait connu bien pire dans le genre par le passé. Il conclut en révélant que c’est sur ces choses-là qu’il comptait porter la plus grosse partie de son attention désormais.
Il a également émis de profonds regrets devant la façon dont nous avons traité notre planète, d’autant plus que les efforts et les recherches entrepris depuis les dernières décennies – qui ont, avouons-le, empêché in extremis le monde de venir invivable – montraient que nous continuions à trop souvent n’avoir de bonnes idées que sous la pression des dernières minutes. M’est alors venue la question de savoir pourquoi ils ne nous avaient pas éliminés plus tôt, notamment après notre échec lors de l’épreuve “Jésus”, puisque cela avait été considéré comme éliminatoire. Il m’a révélé que c’était une chose qu’il ne savait pas lui-même avec exactitude, les détails du choix de la date de chaque rideau n’étant divulgués qu’avec parcimonie par ses supérieurs. Mais il m’a indiqué que c’était probablement afin de savoir si nous avions représenté une avancée significative dans l’aptitude à nous remettre en question de façon profonde et réagir dans l’intérêt de tous.
Il en a alors profité pour continuer ses commentaires en ce sens, lesquels je pense pouvoir globalement résumer en disant que nous n’avions pas vraiment été (j’ai toujours du mal à sa façon de parler de nous au passé comme ça…) des humains comme les précédents, que nous avions porté quelque chose de nouveau, une nouvelle façon d’envisager le progrès, non pas comme un moyen de se satisfaire soi-même, mais comme celui de pouvoir espérer que nos enfants vivraient mieux que nous. Alors que les précédentes “versions” restaient centrées sur le passé et le présent, la nôtre est la première, selon lui, à avoir réellement appris à penser vers l’avenir, même si nos verbes d’action se conjuguaient, eux aussi, un peu trop souvent au futur à son goût. Bien sûr, nous restions fondamentalement égoïstes, ce trait faisant partie de la base même de nos origines et de notre développement de base, mais nos initiatives d’entraide avaient selon lui le mérite d’exister de façon tangible, continue et relativement convaincante, contrairement à ce qui s’était souvent vu auparavant. Il a terminé ses observations en reconnaissant qu’il nous avait trouvé extrêmement imaginatifs, et que nos arts et notre humour faisaient partie de ce qu’il avait le plus admiré chez nous. Et je suis convaincu qu’il a dit la vérité depuis que j’ai entraperçu le volume des archives personnelles de notre époque qu’il s’est mises de côté.
Peu après, il m’a demandé mes propres sentiments vis-à-vis de ma propre espèce. Et j’ai bien dû avouer… que je ne savais pas quoi dire. Je me suis aperçu, tout d’un coup, combien il nous était tellement facile d’avoir une opinion immédiate sur nos semblables mais difficile de s’en faire une lorsqu’on décide d’y réfléchir vraiment et avec du recul. Ce à quoi il faut rajouter que ma formation et mon travail ne m’offrait guère la possibilité d’y réfléchir sérieusement. Je lui ai promis de réfléchir sérieusement à la question, car ça a l’air important pour lui.
Aujourd’hui, je dois avouer que je suis encore abasourdi de toutes ces découvertes que j’ai faites en si peu de temps. Comprendre d’un seul coup l’origine et le sens de la vie et une grande partie des éléments constituant ses “comment”, c’est beaucoup pour un seul homme. Et c’est d’autant plus troublant que, normalement, je ne devrais pas être là maintenant, mais bel et bien appartenir au passé, comme tous mes congénères. Et pourtant, pourtant… Au fur et à mesure que passent les jours et que ma vie d’humain s’éloigne, mes souvenirs et mes regrets s’envolent. En un sens, je suis peut-être moi aussi en train de mourir, tout comme sont morts mes frères, afin de renaître.
En effet, si le Grand Exécuteur (à qui je compte bien un jour trouver un nom, voire un sobriquet amical) est venu me chercher, ce n’est pas un hasard. Apparemment, mon cas l’intéressait tout particulièrement, et il m’a dit vouloir faire de moi son adjoint. J’ai bien entendu accepté l’idée, mais il reste maintenant à éclaircir trois points me concernant.
Premièrement, vais-je être accepté dans ce peuple qui n’est pas le mien ? Je suis déjà connu ici et tout semble bien se passer. Et même si le “Conclave”, l’entité suprême de décision concernant les humains (je ne sais pas si je vais tenir longtemps, avec ces appellations pompeuses), n’a pas encore donné son avis sur la question, ça n’a pas l’air d’être indispensable, vu que tout le monde semble d’accord. Il faudra juste que je prenne l’habitude de vivre à leur rythme qui s’adapte à celui de l’évolution terrestre, évidemment très lent, surtout en début de cycle.
Ensuite reste à savoir si je pourrai effectivement être l’adjoint du Grand Exécuteur, et là c’est déjà un peu moins sûr, dans la mesure où il est facile d’imaginer que je serais susceptible de faire preuve d’une certaine partialité envers les futures générations humaines. Mais je compte bien plaider ma cause quand le temps sera venu, et je sais que je peux compter sur le soutien de celui que je veux voir devenir mon responsable.
Enfin, j’espère que les recherches lancées par l’équipe scientifique réussiront. Aussi motivé que je puisse être à l’idée de rester ici et de contribuer à la tâche d’élever des hommes, rien ne sera possible si je ne peux pas vivre plus longtemps que la durée de vie d’un humain. Mais les pronostics des experts sont optimistes : ils pensent pouvoir arriver à me faire bénéficier de leur traitement d’immortalité d’ici peu.
Avec un peu d’anticipation, rendez-vous est donc pris avec la prochaine “version” de l’Humanité… En espérant n’avoir à n’assister qu’à un minimum de Rideaux !