Un trombone rouge contre une maison
Ca tombe bien, j’en ai une boîte entière…
En 1993, le premier épisode sur Game Boy de la série The Legend Of Zelda a inauguré* un concept qui, depuis, a été maintes fois réutilisé, que ce soient dans les opus suivants de cette même saga ou dans d’autres jeux : la chaîne de l’échange. En plus des objets que le héros peut collectionner à loisir au fur et à mesure, il est une zone de l’inventaire réservée à un objet très particulier : le “trading item”. Il n’est pas marqué comme tel, mais on comprend très vite le principe : tout comme une chaîne a son premier et son dernier maillon, la “trading sequence” commence par un premier objet, souvent trouvé anodinement et qu’on pourra échanger par la suite contre un autre objet. Lequel pourra être échangé de la même façon contre un nouveau, etc. Jusqu’à obtenir l’objet final, qui peut être soit un objet indispensable ou un gros bonus utile.
C’est ainsi qu’en partant d’une simple poupée en forme de Yoshi, gagnée à un jeu d’adresse, Link la donnera à une mère de famille qui lui offrira en retour un ruban, qu’il échangera contre de la pâtée pour chien, laquelle lui permettra d’obtenir des bananes… de fil en aiguille, ce sont ensuite un bâton, du miel, un ananas, une jolie fleur, une lettre, un balai, un hameçon, un collier, une écaille de sirène qui passeront de main en main. Alors enfin, Link pourra acquérir un objet indispensable à la résolution de l’ultime énigme du jeu.
Sous un aspect de simple procédure à suivre aux yeux du joueur qui ne se pose pas trop de questions, le concept de chaîne de l’échange illustre pourtant une des profondes vérités du commerce : un objet peut avoir une certaine valeur propre (comprendre le prix auquel on peut l’évaluer), cette valeur est sans commune mesure avec celle qu’il pourrait représenter pour une personne ayant vraiment envie d’acquérir cet objet. Il suffit de procéder sans se presser, en cherchant plus à aider son prochain qu’à profiter d’un objet. C’est en quelque sorte une version imagée de ce que les économistes appellent la “chaîne de création de valeur”. Cet idéal théorique exprime que d’une matière première première on arrive à un produit fini qui donnera satisfaction à son acheteur mais aussi à tous les maillons de la chaîne de production : l’entrepreneur reçoit des bénéfices, les employés un salaire, et tout le monde est gagnant.
Le 12 juillet dernier, Kyle MacDonald, un jeune canadien de 26 ans, a achevé une chaîne de l’échange assez impressionnante : un petit trombonne rouge au départ, une maison flambant neuve à l’arrivée. Entre les deux, une année entière et treize autres objets, allant du stylo en forme de poisson à un rôle dans un film en passant par scooter des neiges, un après-midi avec le hard-rocker Alice Cooper ou un contrat d’enregistrement d’album avec une maison de disque.
“J’irais n’importe où dans le monde pour échanger un objet”, affirme l’audacieux. Et c’est exactement ce qu’il a fait, du moins sur le continent américain : à chaque fois, Kyle s’est rendu sur place pour procéder à l’échange et a publié une note dans un blog créé à l’occasion. Même si l’initiative a été rapidement reprise et gonflée par les médias, le résultat obtenu montre en tous les cas que le jeune homme a ainsi réussi à insuffler une concrétion patente au concept de chaîne de l’échange.
Avis aux amateurs : Kyle, devenu à cette occasion citoyen d’honneur de sa nouvelle ville, invite aujourd’hui ses fans à sa pendaison de crémaillère le 4 septembre prochain…
* Note : il est possible que ce jeu n’ait pas réellement été le premier à utiliser cette idée, mais à ma connaissance c’est le premier à en avoir une véritable quête dans la quête, menée tout au long de l’aventure.