III-04 (16/11/2003) : Privé de copie


On l’avait presque oubliée. Il faut dire qu’entre le moment où elle est passée sous les yeux de notre chère et dévouée Commission Européenne et aujourd’hui, d’autres choses ont eu le temps de se dérouler. Donc retour aux sources, mais cette fois-ci en France, où la loi Européenne sur la légitimité des systèmes de protection anti-copie est établie pour les médias numériques. En effet, notre gouvernement vient de prendre officiellement position, et comme on pouvait le deviner, ce n’est pas en faveur du consommateur, puisque les procédés empêchant la copie sont légalisés et leur contournement puni. Mais, nous rassure-t-on, la copie privée n’est pas éliminée, la loi de 1985 n’a pas été modifiée. En clair, on ne vous interdit pas de sauvegarder ce que vous avez acheté, mais on autorise les éditeurs à vous empêcher de le faire : jolie façon de vous en priver tout en disant “ah mais non, nous on vous interdit pas de sauvegarder !” Comme si les éditeurs, en pleine ère de déconfiture du CD Audio, allaient se sentir l’âme altruiste et protectrice des droits du consommateur… Ajoutons à ce point de vue naïf/hypocrite la création d’un “collège de médiateurs indépendants”, censé prendre en charge les litiges entre acheteurs et éditeurs, dont on ne sait encore rien des modalités de l’élection, et on obtient assez facilement une vision du nouveau visage de la copie privée en France : une sorte de mirage.

D’accord, la copie privée existe encore, mais sous quelle forme ? Elle qui n’était déjà pas un modèle de lisibilité, le nouvelle légitimité des protection contre la copie la rendent plus floue encore : que devient le droit à la sauvegarde ? et l’utilisation par le cercle familial ? Et l’utilisation sur de multiples supports (sur baladeur, en voiture, au bureau, etc.) ? Aucune précision n’est apportée. Tout au plus est-il suggéré que le propriétaire d’un support original pourrait en faire un nombre limité de copies. Si on y prête un oeil attentif, on s’aperçoit que le droit à la copie privée a été traité comme une sorte de paquet encombrant… un peu comme une loi qui, si elle venait à tomber, pourrait rendre d’un seul coup 100% des contribuables coupables d’un délit puni jusqu’à hauteur de 150 000 euros d’amende et deux ans de prison, en quelque sorte.

Le motif de cette loi est claire : répondre à une pression très forte des éditeurs qui ne gagnent pas autant d’argent qu’ils le souhaiteraient. Eh oui, depuis dix ans maintenant que les chaînes de fabrication sont rentabilisées et qu’un CD ne coûte plus rien à fabriquer alors que leur prix en magasin n’a jamais diminué, les majors s’attendaient à des bénéfices infinis, refusant de voir germer ce qu’ils avaient indirectement semé : la gravure de CD, les juke-box numériques et le Peer-To-Peer. Et maintenant qu’ils se rendent compte de leur incapacité à préserver eux-mêmes leur toute-puissance, ils pleurent et demandent une protection légale. Mais cette loi, avancée comme une réponse à cette requête, sera-t-elle efficace ? Difficile de dire si les utilisateurs de logiciels de partage en ressentiront une quelconque culpabilité, alors que les utilisateurs honnêtes, eux, en subiront les effets de plein fouet lorsqu’ils ne pourront pas utiliser leurs disques à leur convenance même en ayant payé (toujours aussi cher) leur acquisition.

Et on en arrive justement à l’élément déterminant, le seul qui pourra faire comprendre aux décideurs que cette loi est inefficace en plus d’être injuste (en payant pour un disque, de fait, on paye pour pouvoir en écouter le contenu à sa guise) : le consommateur. S’il venait à ne plus acheter de disques protégés et à guetter la disponibilité en Europe de services de musique en ligne peu contraignants comme l’iTunes Music Store d’Apple, les éditeurs comprendraient peut-être qu’il n’a pas uniquement affaire à un troupeau d’abrutis prêt à payer cher pour quelque chose de quasi-inutilisable.

Et bonjour chez vous !