I-16 (10/03/2002) : Rest In Pad
Aujourd’hui, j’ai la douleur de vous annoncer une triste nouvelle. Il s’agit d’un décès… Pas encore vraiment effectif, mais dont l’arrêt a été signé tout récemment.
Certains d’entre vous connaissent peut-être la chaîne câblée et satellisée appellée “Game One”, ayant pour objet principal les jeux vidéo. Créée en 1998 sur ce qu’il restait d’un service en ligne par satellite du nom de “C:”, la chaîne avait d’abord connu une période difficile où il était clair que l’équipe en place avait du mal à se trouver une identité. Mais ça n’a guère duré, et très vite tout ce petit monde s’est soudé et a eu l’intelligence de fédérer un style “bonne ambiance” et de s’y investir au maximum. Les résultats étaient là, la chaîne était agréable à regarder, même si sa tendance aux surrediffusions était parfois ennuyeuse. En effet, présente sur des bouquets de chaînes de base, ceux-là même que les opérateurs satellite bradent le plus possible, les moyens n’étaient pas légion.
Pourtant ce n’est pas la richesse des investisseurs qui faisait défaut, s’agissant d’Infogrames, déjà un grand groupe dans le monde du jeu vidéo, et Canal+. Bref, avec relativement peu d’argent, la chaîne avait au moins le mérite de dégager une dynamique à même de redonner le sourire au plus blasé du PAF. Et les artisans de cette ambiance ne manquaient pas : tous jeunes, dynamiques et pleins d’humour, ils comptaient parmi eux un dénommé Marc Lacombe, surnommé Marcus. Ce “Monsieur Us” comme il aime aussi à se faire appeller en faisant référence à la façon dont il joue aux jeux vidéo, est vraiment un animateur dont on ne peut nier le talent. D’abord cultivé : journaliste depuis une bonne dizaine d’années, il a notamment participé au superbe magazine “Tilt” dans le début des années 90. C’est aussi un présentateur qui ne se prend pas du tout au sérieux et sait faire preuve d’un solide mélange de bon sens et d’humour. Son émission atitrée, intitulée “Level One” présentait un concept tout à fait génial : jouer en direct les toutes premières missions d’un jeu, sa tête et ses mains apparaissant à l’écran par-dessus l’image dudit jeu.
Seulement voilà, nous sommes à l’ère du capitalisme exacerbé et tout-puissant, et la chaîne, bien que ramassant un audimat tout à fait honorable, ne rapportait pas beaucoup d’argent : ce n’était pas les quelques annonceurs publicitaires dont les spots devenaient plus énervants que convaincants à force de passer à chaque coupure pub qui pouvaient assurer une rentabilité à la chaîne. Et un jour du début de l’année 2001, la chaîne cryptée Canal+ qui faisait un grand nettoyage de printemps eut l’idée de se débarasser des parts qu’elle possédait dans Game One. Et, avec le bon sens prodigieux qu’on leur connaît, ses responsables eurent l’idée lumineuse de les revendre à… Infogrames. Une chaîne consacrée aux jeux vidéo possédée alors à 100% par un éditeur de jeux vidéo, voilà qui pouvait inquiéter quant à l’objectivité de ses émissions. Une mauvaise nouvelle n’arrivant jamais seule, l’éditeur ne jugea pas utile de fournir les investissements autrefois assurés par Canal+… coupant ainsi le budget de Game One presque par deux ! Comme pour enfoncer le clou jusqu’au fond, de nouvelles directives furent données aux responsables de la chaîne : dégager des bénéfices, et plus vite que ça.
Ce qui devait arriver arriva : multiplication des spots de publicité, raccolage type bourre-crâne vantant les mérites du 36-15 et du 36-68 de la chaîne, intégration d’une boutique en ligne dans son site web, élimination pure et simple de certaines émissions trop documentaires (comprenez pas assez commerciales) ainsi que le dégagement d’une bonne partie de ses employés. Jusqu’alors, la ligne éditoriale était arrivée à garder une attitude relativement indépendante d’Infogrames, les animateurs de la chaîne faisant alors tout pour parler de ses jeux le moins possible. Mais avec les nouvelles directives de l’éditeur et la sortie de leur nouveau “best seller annoncé mais non c’est pas une suite c’est tout nouveau” du nom de “Alone In The Dark 4”, les premières craintes sont revenues. Et à juste titre : à partir de la rentrée de septembre 2001, ce fut un véritable festival de complaisance, y compris pour des jeux dont la qualité et/ou l’intérêt était proche de l’abject, les animateurs n’ayant pour autre moyen de cacher leur polarisation forcée que celui d’encenser à peu près tout ce qui se faisait à côté…
La déchéance se poursuivit de manière inexorable : alors que certains animateurs donnaient des signes de plus en plus clairs de leur volonté de partir, ce fut le directeur des programmes, Jean-Pat, qui s’éclipsa. Sans explications, bien entendu, mais les choses étaient déjà claires pour tout le monde ou en tout cas le deviendraient très vite. L’apothéose fut atteinte quelques semaines après : dans l’émission informative quotidienne “Game Zone” est maintenant chaque fois infligée au spectateur une émission vantant ouvertement les mérites de la X-Box, la nouvelle console de Microsoft, sur la période des cinquante jours précédant sa sortie. Quand on sait que la PlayStation 2 de Sony, pourtant nettement plus attendue de tout le monde, n’avait eu droit qu’à deux émissions spéciales (une pour la sortie au japon et une pour l’européenne) et ce à l’époque où la chaîne disposait de moyens bien plus conséquents que maintenant… Ajoutez à cela le fait qu’Infogrames développe actuellement des jeux pour la X-Box, et la réponse à la question de savoir ce qui peut motiver un tel mattraquage est à la portée premier du premier individu doté de bon sens venu.
Si je vous raconte cette triste histoire aujourd’hui, c’est qu’il y a maintenant une dizaine de jours, Marcus, véritable tête de proue de la bonne humeur et de la cohésion des artisans de Game One, a révélé qu’il quittait la chaîne, sentant que s’il continuait, il aurait bientôt à mentir lors de ses tests. Son absence est effective depuis le 7 mars. Certes, il n’est pas le premier et on s’y attendait un peu, mais connaissant son charisme et son cercle de fans (il était de loin l’animateur le plus unanimement apprécié), voilà une sévère perte pour la chaîne… d’autant plus qu’il n’est pas le seul, presque toutes les autres personnalités de l’équipe d’origine ayant pris la même décision que lui.
Vous devinerez aisément comment les choses vont se terminer : devant une telle hémorragie d’animateurs, la chaîne aura bien du mal à faire passer la pilule à ses téléspectateurs qui, de toute façon n’étaient pas dupes de la dimension commerciale qu’avait pris la chaîne, mais continuaient de la regarder surtout pour la bonne ambiance qui s’en dégageait. Les annonceurs publicitaires la lâcheront à leur tour, ceci amenant logiquement Game One à sa disparition via une lente agonie.
Pas de moralité ou de chute dans cet épisode de la Chronique de Celeri, seulement l’affligeant constat d’un sinistre gâchis. Certaines personnes voient en Infogrames un modèle d’entreprise à la française, se rendant visiblement peu compte de ce qui s’y passe véritablement. A l’instar de bon nombre des pionniers du jeu vidéo français à l’époque de l’Atari et autres Commodore 64, Bruno Bonnel a bien changé, et pas pour le meilleur.
Heureusement, ceux qui ont un peu suivi Game One à son époque de gloire garderont sûrement en eux de très bons souvenirs. Quoique vous fassiez par la suite, Marcus, Jean-Pat, Thiouwz, Alex Pilot, Juliette, Alex Nassar, Bertrand et tous les autres, vos spectateurs ne vous oublieront sûrement pas de sitôt.
Et bonjour chez vous !