II-16 (01/06/2003) : Vous reprendrez bien un peu d’Unix ?


Question du jour : que faire lorsqu’on a acquis, il y a plusieurs années, et au prix du caviar, une technologie informatique dont on ne sait que faire ? Tous les bons experts vous le diront : il faut la revendre le plus vite possible. Oui mais si personne n’en veut car on a attendu trop longtemps sans rien en faire ? Là, en effet, c’est plus dur…

Et à ce petit jeu, on peut dire que le groupe SCO (connu aussi sous le nom de Caldera), n’hésite pas à saisir au vol le taureau par les cornes en sautant du coq à l’âne. Petit tour d’horizon : courant 1995, SCO rachète l’ensemble de la technologie Unix à Novell. Mais c’est également à cette époque que le PC commence à devenir une plate-forme qui séduit les professionnels autant que les particuliers et où le projet Linux, le dérivé d’Unix gratuit, prend progressivement une forme intelligible et utilisable. Les années passent et Unix, qui n’évolue que peu et coûte cher à distribuer, est de plus en plus sérieusement concurrencé par Windows NT. La situation est telle qu’IBM, en 1999, envisage d’arrêter de distribuer cet Unix vieillissant, et investit massivement pour accéléer le développement prometteur de son cousin Linux. Et aujourd’hui, en 2003, IBM est le leader mondial des serveurs, faisant fonctionner en symbiose ses processeurs PowerPC ou des Pentium avec des environnements Linux, ce dernier ayant maintenant acquis nombre de titres de noblesse. Du côté des SCO, les choses vont moins bien : on traîne à bout de bras une technologie qu’on a laissé pourrir sous un soleil éphémère. Et personne n’est dupe de la situation : la direction de SCO elle-même a lancé la distribution de serveurs tournant sous Linux ! Mais les finances s’effondrent et il faut trouver une solution rapidement.

Après quelques minutes de savantes analyses du marché, une réponse est trouvée : il faut qu’IBM rachète SCO, et cher si possible. Oui mais IBM n’en a plus vraiment besoin et fait la fine bouche… Qu’à cela ne tienne, on va l’obliger, en l’accusant d’avoir utilisé sa licence Unix pour améliorer Linux. Accusation somme toute assez logique, dans la mesure où IBM avait tout intérêt à ce que Linux, logiciel en distribution libre, se perfectionne pour pouvoir ainsi cesser de payer la coûteuse licence Unix. Une telle accusation, si elle était avérée, mettrait Linux dans une position fort peu enviable, car il serait désigné comme un plagiat et exigerait que tous ses distributeurs payent une licence à SCO, ce qui serait bien évidemment contraire à sa philosophie.

Mais pourquoi avoir cherché à tant médiatiser cette accusation et à la faire connaître d’environ 1500 entreprises informatiques de par le monde ? La raison est simple : en se prônant aux yeux de tous comme détenteur des technologies à la base de Linux, SCO espère faire coup double : elle pourrait s’assurer une grosse entrée d’argent frais en ses coffres pleins de moisissure grâce à un rachat par IBM ou quelque autre magnat des serveurs sous Linux, tout en se lavant de son immage de mauvais père vis-à-vis d’Unix.

Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que l’affaire aurait pu se résumer à un simple contentieux entre deux compagnies privées, mais que SCO, pour arriver à ses fins, a volontairement déplacé le combat vers un abject procédé de remise en question du travail de milliers de développeurs bénévoles dans cet effort commun qu’est le logiciel libre. Et les arguments invoqués sont à la hauteur de leur attitude : ils prétendent ni plus ni moins que Linux est un produit qui, avant 1999, était “l’équivalent logiciel d’une bicyclette”… alors qu’à l’époque, ce même Linux faisait déjà nombre de choses que ne savait pas faire l’Unix de SCO (comme par exemple gérer des architectures de 32 processeurs en parallèle).

Quelques jours après le début de l’affaire, coup de théâtre : par le plus grand des hasards bien sûr, Microsoft a acquis une licence Unix. Quand on connaît la position de Bill vis-à-vis de Linux et du logiciel libre en général, difficile de mieux confirmer le fait qu’une inquiétante mauvaise foi s’attaque désormais au symbole de l’Open Source.

Et bonjour chez vous !