II-17 (29/06/2003) : Coupable demain, condamné aujourd’hui


Aujourd’hui, la Chronique de Celeri va vous transcrit un épisode d’un feuilleton juridique comme on n’en fait pas encore… Trop réaliste, sans doute.

Silence dans la salle. Le juge de district James Moody s’apprête à pronconcer le verdict qui lui semble le plus juste possible compte tenu de l’odieux forfait commis par Steven R. Frazier. Les mots du procureur lui reviennent en mémoire : ils sonnaient juste. Presque autant que sur ces prospectus qui jonchent les salles après les réunions et les conférences de presses des groupes de pression au sein même des locaux de la Justice Américaine. L’homme qu’il s’apprête à condamner n’est rien d’autre qu’un de ces malfrats comme il en existe des milliers, qui, en bandes plus ou moins organisées, conçoivent et distribuent des appareils pour pouvoir regarder certaines chaînes de télé gratuitement. Criminels en puissance que ces délinquants aux mains trop curieuses, maugrée-t-il imperceptiblement. Après tout, ne font-ils pas perdre chaque année quatre milliards de dollars à l’industrie de la télévision domestique ? Le fait que les bénéficiaires de ces technologies pirates ne payeraient probablement pas, en l’absence de ces dernières, pour les services concernés n’est pas une excuse. Il y a là un procédé à punir. Mais humainement, bien sûr.

Silence dans la salle, l’accusé Steven R. Frazier repense à la façon dont il s’est fait attraper, au cours d’un vol depuis le Canada, avec son matériel dans ses valises. A vingt-huit ans, il était à deux doigts de réussir un joli coup : fabriquer un décodeur clandestin pour recevoir chez soi gratuitement le tout dernier bouquet satellite de Direct-TV. Ayant vite deviné qu’il était suivi depuis un moment déjà, il avait préféré plaider coupable. Coupable donc d’un délit qui était en bonne voie de commettre, mais qui n’a pas été commis au final. La conséquence doit donc être, en toute logique, une peine de principe ainsi que la confiscation du matériel.

Silence dans la salle. Le juge prend la parole :

“- Steven R. Frazier, vous êtes reconnu coupable du crime de conspiration ainsi que des délits de contrefaçon et d’entrave à la liberté de commerce à l’encontre de la société plaignante. Même si le délit n’était pas encore commis, il est du devoir de la justice de vous empêcher de nuire à nouveau au système et de vous demander une réparation partielle pour le préjudice que vous auriez pu engendrer. En conséquence, je vous condamne à passer cinq ans en prison fédérale et à verser un cinquième du montant des dommages et intérêts requis par le procureur, soit…”

Toujours ce silence dans la salle. Et on comprend pourquoi : Steven R. Frazier vient d’être condamné à verser pas moins de 180 millions de dollars. Dans sa grande mansuétude et avec tout l’humanisme dont ce juge s’est probablement cru dépositaire ce juge de Sacramento en Californie, il ce dernier a ordonné que le paiement des intérêts se fasse par tranches de 500$ mensuelles… ce qui porte la dette à 30 000 ans.

L’histoire ne dit pas si ses enfants en hériteront. Ce qu’elle dit en revanche, c’est que les dommages et intérêts sont maintenant considérés comme recevables à partir du moment où la justice américaine évalue le délit comme réalisable… et qu’attenter aux intérêts économique d’une entreprise privée de prestation de services aux particuliers est assimilable à un crime de conspiration.

Et bonjour chez vous !