Chronique de Celeri – saison 3 (2003-2004)
Troisième fournée de la Chronique de Celeri… Les cibles privilégiées sont un peu les mêmes, actualité oblige, mais bon, l’essentiel balaye quand même assez large, parfois même dans le pittoresque.
Le style a, quant à lui, essayé d’évoluer vers quelque chose de plus concis et plus subtil… eh oh, ça va, j’ai bien dit “essayé”, non ?
Sommaire :
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Episode 01 (28/09/2003) : Brevets d’table
Episode 02 (12/10/2003) : C’est vraiment trop injuste !
Episode 03 (26/10/2003) : J’ai du bon karma
Episode 04 (16/11/2003) : Privé de copie
Episode 05 (13/12/2003) : Appel au civisme sélectif
Episode 06 (04/01/2004) : Ces ordinateurs qui nous veulent du mal
Episode 07 (25/01/2004) : “Call someplace Paradise…”
Episode 08 (15/02/2004) : Vive le plantage libre !
Episode 09 (07/03/2004) : C’est DRMatique
Episode 10 (21/03/2004) : Entre ce qu’on dit et ce qu’on pense…
Episode 11 (04/04/2004) : Pigeonneries
Episode 12 (18/04/2004) : Plus dure sera la chute
Episode 13 (02/05/2004) : Jugement pirate
Episode 14 (16/05/2004) : Poison et antidote, le 2-en-1 américain
Episode 15 (13/06/2004) : Plus c’est gros, plus ça passe
Episode 16 (04/07/2004) : Scob itou
Episode 17 (18/07/2004) : Logicieloplégie
Episode 18 (01/08/2004) : Pire ratage
Episode 1 (28/09/2003) : Brevets d’table
Prenez un projet de loi que tout accable : une opinion publique massivement pas d’accord et le faisant savoir par de nombreuses manifestations et pétitions regroupant chacune des centaines de milliers de signatures et le refus de plusieurs associations défendant l’intérêt de ceux qui veulent réellement innover sans risquer d’être écrasés ainsi que plusieurs études démontrant de façon rigoureuse, en se basant sur une situation actuelle complètement vérifiable, que cette loi est néfaste.
Prenez ensuite plusieurs bons groupes de lobbying internationaux très endurcis à leur tâche dans un monde baignant déjà largement dans la sauce américaine et ses procédés de racket par les gros sur les petits.
Disposez tout ça dans un saladier hémisphérique dont vous aurez au préalable saupoudré le fond de députés globalement incompétents en matière de technologie et perdant tout recul dès qu’on les caresse dans le sens du poil en leur agitant sous le nez des billets de banque (même s’ils sont verts).
Laissez agir quelques mois, inutile de mettre au frais ou de protéger le tout de la lumière, le mélange est de toute façon auto-hermétique à toute remarque, critique, toute constructive qu’elle soit. Pour que ça aille plus vite, vous pouvez en revanche y laisser tomber quelques billets verts.
Au final, vous obtenez un vote positif à majorité absolue, tout beau et tout chaud, prêt à l’emploi.
Cette recette vous a séduit et vous voudriez pouvoir l’utiliser ? Eh là, jeune homme impétueux, il faut passer à la caisse avant, parce que je l’ai brevetée ! Comment ça, on n’a pas le droit de breveter une recette parce que ça relève d’une idée et que les idées appartiennent à tout le monde ? Il faut vous mettre à l’heure, le parlement Européen vient d’expédier cet état de fait, qui était certes établi jusqu’ici, aux oubliettes !
En effet, qu’est-ce qui ressemble plus au code-source d’un logiciel qu’une recette de cuisine ? Rassembler des ingrédients ou des variables, les traiter chacune d’une certaine façon et les mettre en commun dans un certain ordre pour arriver à un résultat escompté. Quand on y pense, heureusement que personne n’a pu déposer le brevet de la pizza margharita ou du baba au rhum ! Que les moyens de traitement mis en oeuvre soient des hachoirs ou des calculs mathématiques ne dépend que de la nature des éléments de base, le principe est rigoureusement le même.
Même si la situation n’est pas si noire qu’on aurait pu la présager avant le vote, notamment grâce à quelques amendements – très flous – qui ont réussi à se faufiler dans le texte final, probablement sans que nos chers euro-députés ne les remarquent (ou les comprennent), comme on dit toujours : c’est l’intention qui compte.
Et bonjour chez vous !
Episode 2 (12/10/2003) : C’est vraiment trop injuste !
Lettre ouverte au Département de Justice de l’Etat de Californie :
Monsieur le département, je vous écris aujourd’hui pour m’élever contre cette plainte que vous avez injustement accepté de recevoir à l’encontre de ma la société du nom de Microsoft, la semaine dernière.
Premièrement, cette plainte prétend que les failles de mon leur logiciel Windows seraient tellement énormes et nombreuses qu’elles pourraient occasionner des pannes en cascade d’envergure nationale. Il est parfaitement évident qu’à tout instant, un nombre élevé de PC se trouve être immunisés de toute attaque, notamment ceux sur lesquels on n’a installé aucun logiciel en plus d’un Windows, ceux qui ne sont pas connectés au net, ainsi que ceux qui sont en mode “veille profonde” ou tout simplements éteints. C’est donc dans le cadre d’une meilleure utilisation des ordinateurs que résident les réelles solutions à l’éternel problème des failles logicielles qui sont loin d’être, comme le subodore ce document, la spécialité de Microsoft. De plus, ça ferait des économies d’électricité !
Deuxièmement, il est écrit que les alertes que nous les services techniques de la compagnie publient sont trop détaillées et compliquées pour être comprises par l’utilisateur lambda et qu’elles seraient, en conséquence, plus utiles aux pirates qu’aux honnêtes gens. Il nous leur est hélas impossible de ne pas en dire moins, sans quoi les utilisateurs en mal d’un système stable cesseraient de chercher des astuces palliatives nous permettant de prendre tout notre temps pour écrire les patches correctifs. Quant à la complexité des informations publiées, elle est également nécessaire afin que tout un chacun ne puisse se rendre compte combien ces failles sont faciles à exploiter : vous conviendrez qu’engendrer plusieurs millions de pirates en voulant rendre l’information accessible à tous serait d’une totale absurdité.
Enfin, la plainte accuse ces failles de favoriser la violation de la loi sur la confidentialité des données personnelles qui veut que les particuliers soient informés en cas de violation de ces dernières. Et d’invoquer le triste sort de Marcy Levitas Hamilton, une internaute dont le numéro de sécurité sociale et les coordonnées bancaires ont été dérobés… elle n’avait qu’à les taper à l’abri des regards indiscrets, comme par exemple en tournant son écran de côté ou en utilisant des caractères de couleur blanche ! Microsoft ne peut être tenue responsable du manque de prudence de ses utilisateurs !
Cette plainte me semble être de mèche avec l’étude publiée il y a deux semaines de cela par la Computer Communications Industry Association et qui disait que “l’ombrageuse prépondérance de Microsoft dans les logiciels bureautiques met en péril la sécurité au niveau mondial”. La jalousie de tous ces gens n’a décidément aucune limite : je Microsoft cherche juste à rendre le monde meilleur et la vie plus belle pour tous les utilisateurs grâce à ses produits ouverts, puissants et innovants. Il faut donc que le plus de gens possible les utilisent. D’où la question : “pourquoi pas tous ?”
Sincères salutations. Monsieur Bill G.
Et bonjour chez vous !
Episode 3 (26/10/2003) : J’ai du bon karma
Alors que l’économie va mal, que les développeurs de logiciels s’inquiètent de l’évolution de leur secteur et que les éditeurs se morfondent devant la baisse des ventes de disques à laquelle ils ont pourtant largement contribué, il est un homme qui infatigablement continue encore et toujours d’oser se montrer ouvertement contre tout pessimisme et qui poursuit inlassablement son chemin de l’innovation technologique et de son intégration dans l’expérience de l’utilisateur. C’est ainsi que six mois après une version Mac au succès incontestable, le gaillard, Steve de son prénom et d’Apple le patron, a lancé la semaine dernière en grande fanfare la mouture Windows de son juke-box numérique, iTunes, accompagné de la solution d’achat en ligne de titres musicaux, iTunes Music Store.
Certes, cette version PC était attendue car promise pour avant la fin de l’année, mais n’en constitue pas moins une intéressante vitrine d’intégration de fonctions logicielles et de service façon “tout en un” qui ne manquera pas d’attirer l’attention de bon nombre de regards blasés devant un Windows impersonnel, complexe à bien utiliser et dont le rythme du cycle infernal de découverte/colmatage des failles ne fait qu’augmenter avec le temps. Mais restons dans le sujet : le magasin en ligne d’Apple. Avec de nombreux titres et albums vendus et une implantation dans la conscience des jeunes américains plus forte que jamais, le Music Store semble promis à un bel avenir.
Mais d’où vient une telle promesse ? Uniquement de l’effet d’annonce savamment orchestré et de la qualité matérielle d’un baladeur ? Comment expliquer que l’ensemble formé par un bidule de poche, son logiciel et son magasin associés fonctionne si bien et que leurs concurrents respectifs n’en ramassent que les miettes ? Il apparaît qu’un point fondamental de la stratégie d’Apple réside dans l’intégration, tout comme entre son système d’exploitation et ses ordinateurs. Le QG de la pomme a bien compris que la plate-forme PC est un monde où la concurrence acharnée entre matériels d’une part et entre logiciels d’autre part et la rotation extrêmement rapide des leaderships font de ce monde-là une cacophonie constante. Et, en manque d’une cohérence générale, il n’est pas difficile de comprendre l’individu lambda lorsqu’il utilise un logiciel de Peer-To-Peer de temps en temps pour rechercher un morceau de musique : ce service, certes illégal, lui est offert de manière assez simple, mais rien de légal pour y répondre avec la même simplicité !
Il n’est pas question ici des téléchargeurs de gros calibre, eux représentent un noyau dur d’irréductibles, qui d’ailleurs bien souvent n’apprécient que très peu ce qu’ils consomment. Le sujet étudié est bel et bien l’individu consumériste moyen. Celui qui, contrairement à ce qu’on pourrait croire, est VRAIMENT prêt à payer pour un service de qualité, lui permettant d’obtenir ce qu’il cherche avec les garanties d’efficacité et de simplicité qui correspondent à ses désirs… et qui lui donne bonne conscience : le fameux “good karma” dont le sieur Jobs a fait un des points-clé de son Music Store, enfonçant le clou de sa politique refusant de riposter à l’illégalité à coups d’interdictions et sanctions mais en tentant de faire mieux encore.
Le pari est osé, et le combat loin d’être gagné. Mais reconnaissons à Apple, quoiqu’on puisse penser de sa vision de l’informatique, le mérite d’avoir été le premier à se lancer ce défi et de s’être donné des moyens raisonnables de le relever. Qu’on ait l’honnêteté intellectuelle de l’admettre ou non, les services de musique en ligne sont déjà condamnés à n’en être que des clones sans la saveur d’une pomme pionnière…
Et bonjour chez vous !
Episode 4 (16/11/2003) : Privé de copie
On l’avait presque oubliée. Il faut dire qu’entre le moment où elle est passée sous les yeux de notre chère et dévouée Commission Européenne et aujourd’hui, d’autres choses ont eu le temps de se dérouler. Donc retour aux sources, mais cette fois-ci en France, où la loi Européenne sur la légitimité des systèmes de protection anti-copie est établie pour les médias numériques. En effet, notre gouvernement vient de prendre officiellement position, et comme on pouvait le deviner, ce n’est pas en faveur du consommateur, puisque les procédés empêchant la copie sont légalisés et leur contournement puni. Mais, nous rassure-t-on, la copie privée n’est pas éliminée, la loi de 1985 n’a pas été modifiée. En clair, on ne vous interdit pas de sauvegarder ce que vous avez acheté, mais on autorise les éditeurs à vous empêcher de le faire : jolie façon de vous en priver tout en disant “ah mais non, nous on vous interdit pas de sauvegarder !” Comme si les éditeurs, en pleine ère de déconfiture du CD Audio, allaient se sentir l’âme altruiste et protectrice des droits du consommateur… Ajoutons à ce point de vue naïf/hypocrite la création d’un “collège de médiateurs indépendants”, censé prendre en charge les litiges entre acheteurs et éditeurs, dont on ne sait encore rien des modalités de l’élection, et on obtient assez facilement une vision du nouveau visage de la copie privée en France : une sorte de mirage.
D’accord, la copie privée existe encore, mais sous quelle forme ? Elle qui n’était déjà pas un modèle de lisibilité, le nouvelle légitimité des protection contre la copie la rendent plus floue encore : que devient le droit à la sauvegarde ? et l’utilisation par le cercle familial ? Et l’utilisation sur de multiples supports (sur baladeur, en voiture, au bureau, etc.) ? Aucune précision n’est apportée. Tout au plus est-il suggéré que le propriétaire d’un support original pourrait en faire un nombre limité de copies. Si on y prête un oeil attentif, on s’aperçoit que le droit à la copie privée a été traité comme une sorte de paquet encombrant… un peu comme une loi qui, si elle venait à tomber, pourrait rendre d’un seul coup 100% des contribuables coupables d’un délit puni jusqu’à hauteur de 150 000 euros d’amende et deux ans de prison, en quelque sorte.
Le motif de cette loi est claire : répondre à une pression très forte des éditeurs qui ne gagnent pas autant d’argent qu’ils le souhaiteraient. Eh oui, depuis dix ans maintenant que les chaînes de fabrication sont rentabilisées et qu’un CD ne coûte plus rien à fabriquer alors que leur prix en magasin n’a jamais diminué, les majors s’attendaient à des bénéfices infinis, refusant de voir germer ce qu’ils avaient indirectement semé : la gravure de CD, les juke-box numériques et le Peer-To-Peer. Et maintenant qu’ils se rendent compte de leur incapacité à préserver eux-mêmes leur toute-puissance, ils pleurent et demandent une protection légale. Mais cette loi, avancée comme une réponse à cette requête, sera-t-elle efficace ? Difficile de dire si les utilisateurs de logiciels de partage en ressentiront une quelconque culpabilité, alors que les utilisateurs honnêtes, eux, en subiront les effets de plein fouet lorsqu’ils ne pourront pas utiliser leurs disques à leur convenance même en ayant payé (toujours aussi cher) leur acquisition.
Et on en arrive justement à l’élément déterminant, le seul qui pourra faire comprendre aux décideurs que cette loi est inefficace en plus d’être injuste (en payant pour un disque, de fait, on paye pour pouvoir en écouter le contenu à sa guise) : le consommateur. S’il venait à ne plus acheter de disques protégés et à guetter la disponibilité en Europe de services de musique en ligne peu contraignants comme l’iTunes Music Store d’Apple, les éditeurs comprendraient peut-être qu’il n’a pas uniquement affaire à un troupeau d’abrutis prêt à payer cher pour quelque chose de quasi-inutilisable.
Et bonjour chez vous !
Episode 5 (13/12/2003) : Appel au civisme sélectif
La violence dans la vie, c’est mal. Et dans les jeux vidéo aussi, ce n’est pas moi qui vous dirai le contraire, surtout quand il s’agit d’une violence gratuite qui ne tire d’intérêt que de son réalisme. C’est pourquoi je suis plus que circonspect devant le succès des jeux dits “First-Person Shooter” qui ne présentent pas plus d’originalité que de rendre le plus fidèlement possible les giclements de sang, les gargouillement de gorges découpées et le bruit des os broyés. Et même si je n’ai pas le même avis face aux jeux violents mais présentant un intérêt réel ou un côté décalé qui permet de ne pas focaliser son cerveau sur le côté violent, j’ai assez facilement tendance à comprendre les personnes qui s’opposent tout de même à de tels jeux. En faisant preuve de ne serait-ce qu’un peu d’honnêteté intellectuelle, on ne peut que reconnaître qu’on ignore encore aujourd’hui les effet réels de la violence vidéo-ludique sur l’esprit, surtout chez les jeunes, pourtant leur cible de prédilection.
Et pourtant, l’affaire qui a lieu actuellement à New York est digne de gagner une jolie médaille du politiquement correct qui tourne à l’hypocrisie massive et méritant d’être montrée du doigt en tant que telle. L’objet du litige est le hit mondial incontesté “GTA : Vice City”, qui met en scène une lutte fictionnelle entre des gangs mafieux sans foi ni loi et qui n’hésitent pas à réduire à néant tout ce qui leur fait obstacle. Et il faut avouer que les concepteurs du jeu n’en avaient pas peur non plus, des obstacles, car il est littéralement possible de tout faire à la population de cette triste ville : les assommer, les descendre, les mitrailler, les brûler, les découper, les tronçonner, les écraser… Idem pour les forces de l’ordre qui tenteraient de s’interposer entre le héros du jeu et ses victimes. Et le réalisme assez relatif des situations n’excuse qu’à moitié une telle débauche d’incivisme.
Il était donc somme toute logique qu’une plainte soit déposée contre ce jeu. Mais contre toute attente, celle qui l’a été ne concerne pas les victimes innocentes du jeu ni sur les forces de police… mais sur la population hawaïenne des victimes, celles-ci ne concernant qu’une seule missions sur des dizaines proposées par le jeu, alors que les piétons et les flics sont, eux, à consommer sans modération. Vous l’avez deviné, il s’agit bien sûr de la population hawaïenne de New York qui entend frapper un grand coup, et ne voyant pas plus loin que le petit cercle de ses concernés directs. Difficile de ne pas entendre mentalement les plaignants dire “les autres peuvent bien se faire massacrer par centaines, on ne touche pas aux hawaïens !” Le refus de la violence est une chose bien trop précieuse pour la laisser se faire entacher par une vision aussi étriquée et par un détournement aussi égocentrique.
Réaction immédiate de l’éditeur, logique au pays du Melting-Pot : il a décidé de mettre le jeu à jour et d’éliminer la phase “tuer tous les hawaïens” du jeu (les plaignants s’étant bien gardés de préciser que les hawaïens en question formaient un cartel de drogue dans le scénario, qui met par ailleurs en scène une ribambelle d’autres criminels de tous horizons). L’ultimatum lancé a donc été respecté. Mais l’histoire en restera-t-elle là, comme le méritent toutes ces plaintes que la raison fait bien vite d’oublier, et à juste titre ? Pas besoin d’être grand joueur pour se rendre compte qu’une poursuite de l’éditeur dont ce jeu lui a rapporté des centaines de millions de dollars représente une fort juteuse tentation…
Si ça n’était pas le cas, on atteindrait alors une apothéose comme seuls les Etats-Unis savent en engendrer : une minorité d’opportunistes se voyant approuver une plainte qui représenterait une insulte, bien réelle, à l’égard des milliards de non-hawaïens du monde encore plus énorme que la violence commise à son endroit, pourtant purement virtuelle.
Et bonjour chez vous !
Episode 6 (04/01/2004) : Ces ordinateurs qui nous veulent du mal
Cette semaine, c’était la nouvelle année. Et comme il se doit en telle occasion, on remet les choses à plat, les compteurs à zéro et les horloges à l’heure. C’est aussi un moment où on fait souvent un bilan de plusieurs domaines afin de savoir où on en est. Et dans le cas de Celeri, votre râleur chronique de proximité, c’est aussi l’occasion de pondre un épisode un peu différent de son oeuvre récurrente. Or, en cette période de vacances, relativement peu de choses réellement intéressantes se sont déroulées sur la scène technologique et il commençait à désespérer de trouver quelque joyeuseté pittoresque à commenter. Et tout d’un coup, il tombe sur un petit bijou, un de ces articles qu’on ne peut plus trouver que sur les “web logs” (alias “blogs” pour les connaisseurs), ces journaux plus ou moins intimes publiés régulièrement sur le net par un nombre sans cesse croissant d’utilisateurs.
L’objet de cette publication, qui date du 31 décembre dernier est de savoir combien l’auteur avait gaspillé de temps à cause d’un ordinateur de son foyer familial durant tout le mois de décembre. Ici, “gaspiller” fait référence au temps passé à comprendre et réparer les divers tracas et qui surviennent lors de l’utilisation d’un ordinateur (non provoquées par une maladresse, bien sûr). Et pour chacun de ces événements, il a rédigé une note spéciale dans son journal en mentionnant le temps que lui avait pris la gestion dudit élément. Au final, ce sont pas moins de 21 tracasseries qui se sont présentées à lui, et ce pour un total de 11 heures et 20 minutes d’intervention. Il est à noter que la façon dont il utilise son matériel informatique est tout sauf exagérément pathogène, puisqu’il s’agit d’une utilisation essentiellement familiale. Ce ne sont là que des programmes et des matériels qui cessent de fonctionner normalement, et pourtant c’est presque une demie-journée entière qui est ainsi perdue, soit presque 5% du temps libre dont dispose un travailleur moyen (720 heures par mois auxquelles il faut retrancher 240 de sommeil et 200 de travail et transports).
L’auteur qualifie ce mois de décembre de “relativement normal” par rapport à son expérience des petits tracas informatiques, c’est à dire qu’il n’a pas connu de panne complète d’un poste, pas de plantage de disque dur nécessitant de récupérer ses données, pas de réinstallation forcée de Windows et de tous ses programmes par conséquent, événements pouvant demander à eux tout seuls plusieurs heures d’intervention, sans parler de délais d’incapacité d’utilisation. Le temps perdu à cause des courriers non sollicités et autres fenêtres de pub n’est également pas inclus car non considérés comme des défaillances de ses équipements. Le but de l’expérience était réellement de mesurer le temps gâché par les petits problèmes. Afin de comparer la différence entre l’informatique et la vie quotidienne, l’auteur a également noté toutes les interventions qu’il a dû effectuer dans sa maison, et le bilan fait état de 2 ampoules grillées et d’un pare-choc remplacé sur l’une de ses voitures. Tout le reste, de l’électro-ménager aux équipements audio-vidéo classiques, n’a pas souffert du moindre problème. D’où le verdict sans appel : l’informatique est définitivement LE domaine grand public qui vous apportera le plus de soucis, et très largement, devant tout le reste des équipements de votre maison réunis.
L’auteur de l’article livre par ailleurs d’autres observations du même genre, comme par exemple le fait que nul autre domaine ne le force à lire de gigantesques documents légaux pour chaque achat ou mises à jour, à procéder à des mises à jour obligatoires pour que le fonctionnement puisse se poursuivre tout en étant exposé à tant de gênes et risques tels le spam, les pop-ups et les virus en tout genre. Et de prolonger son raisonnement en émettant plusieurs hypothèses sur le gain de millions d’heure partout dans le monde si les virus et les failles de sécurité étaient vraiment éradiqués, les installations de logicielles rendues véritablement automatique, de même que l’installation des systèmes et des pilotes.
Définitivement un excellent article à mon avis, et tel qu’on n’en rencontre que trop peu souvent, noyés que nous sommes sous une masse de torchons vantant les mérites des produits sans jamais s’élever contre les nombreux tracas que leur conception approximative peut engendrer. L’article (en anglais) est consultable ici.
Puisque la nouvelle année est celle des bonnes résolutions, espérons que les fabricants et développeurs du monde informatique en prendront un jour quelques-unes, car jusqu’ici on a plutôt l’impression qu’ils n’utilisent jamais leurs propres produits.
Et bonjour chez vous !
Episode 7 (25/01/2004) : “Call someplace Paradise…”
“…kiss it goodbye.” Quelle meilleure citation chansonnesque utiliser pour introduire le douloureux sujet de cet épisode de la Chronique de Celeri ? Les Eagles avaient hélas bien raison : c’est au moment où on se rend compte de toute la liberté et la tranquilité offertes d’un endroit que débarquent des gens qui vont précisément tout faire pour qu’elles disparaîssent, ou du moins ne soient pas à votre portée. Et on peut dire qu’en la matière, notre gouvernement promet de faire très fort. Et très mal aussi. Et avec les mains ni sales ni fatiguées. Le nirvana de la droite, en quelque sorte.
A l’origine, une loi. Une loi qui se veut à même de redonner aux français la “confiance en l’économie numérique”. C’est un vaste projet, qui touche plusieurs domaines, comme la téléphonie, les achats en ligne… et l’internet lui-même. On ne se demandera pas pourquoi des lois sur la “bonne morale” du net font partie d’un package économique… On se croirait face à un Service Pack de Microsoft (plein de patchs, avec le même type de contrat de licence et en sachant pertinemment que ça ne marchera pas mieux après), mais passons. Le point qui nous intéresse ici est évidemment les lois à propos de l’internet, et c’est déjà l’objet d’un assez vaste tapage social parmi les internautes : plus liberticide encore que les LSQ d’il y a quatre ans, qui l’eût cru ?
Sans trop entrer dans le détail (de nombreux articles en parlent sur let net et dans la presse), rappelons les trois points principaux de litige. Le premier est la suppression pure et simple du caractère privé des e-mails. C’est un peu comme si votre facteur avait le droit d’ouvrir votre courrier et de regarder son contenu, et sous votre nez s’il en a envie. Ensuite viennent deux règles de filtrage de contenu, qui seraient un peu comme les ministères de l’intérieur et des affaires étrangères, sauf que là tous les intermédiaires des services que vous utilisez ont un droit (et un regard) sur tout ce que vous faites et produisez. En l’occurrence, les hébergeurs de sites web ont obligation de rendre inaccessible toute page dont le contenu serait répréhensible, et ce dans la seconde suivant leur publication ; si une plainte est déposée entre-temps, ils sont passibles d’un an de prison et d’une amende montant jusqu’à 15 000 euros, autant dire une demande de censure au moindre doute. Enfin, nous avons le filtrage aux frontières : tout site au contenu “répréhensible” devra être inaccessible à tout internaute français, à tout instant. Et là, pas besoin d’être grand sorcier pour savoir qu’en plus d’encourager au filtrage arbitraire, les fournisseurs d’accès ne disposent pas des moyens techniques d’assurer une telle directive, le net étant beaucoup trop vaste et changeant beaucoup trop vite pour être suivi de si près et pour plusieurs millions d’internautes.
Les raisons du rejet en masse de cette loi sont nombreux. Tout d’abord, il s’agit ni plus ni moins que d’une vaste censure d’un moyen de communication, cette censure étant confiée à des intermédiaires techniques. L’idée est très probablement de soulager les juges de telles affaires, et sans laisser trop de traces. Avec cette privatisation de la justice, qui reprend un peu l’idée des “citoyens-relais” de Sarkozy, pas besoin d’augmenter le budget de la justice et de former les juges aux nouvelles technologies ! L’arrêt de mort des forums et autres lieux d’échange en temps réel hébergés en France est sur le point d’être signé. Il s’agit d’un précédent encore vu nulle part dans le monde : même la chine n’en a pas fait autant, se contentant d’implémenter le troisième point litigieux de cette loi. Parlez-moi d’exception Française !
Ensuite, que penser des origines de cette loi ? Qu’elle est faite pour nous protéger des pédophiles (ah le joli mot, si facile à brandir dès qu’il s’agit de priver de libertés les internautes) ? C’est ce qu’aimerait faire croire Nicole Fontaine, à l’origine du texte, et sa clique. Hélas pour eux, tout le monde sait qu’à la source se trouve la pression de l’industrie du disque, qui n’en finit plus de refuser de s’adapter à l’évolution du marché (l’exemple du succès de la musique en ligne légale aux USA ne leur suffit donc pas, on se croirait face à un caprice de gosse face à ses devoirs de vacances). Des journalistes ont même révélé que les directeurs des Majors du disque, étaient encore dans le bureau de la ministre quelques heures avant le vote ! Surtout quand on voit que l’échange de fichier illégaux semble être à l’origine de la suppression de la confidentialité du courriel ; ou comment tuer une liberté fondamentale, celle de communiquer de façon rapide et discrète en prétextant quelque chose de complètement faux : cela fait bien longtemps que le mail n’est plus utilisé pour échanger de la musique illégale, les logiciels de Peer-to-Peer font ça bien mieux !
Pour continuer, mentionnons le fait que le “filtrage aux frontières” du net, en plus d’être techniquement irréalisable est une position que tous les pays démocratique ont déjà examinée et directement rejetée. Elle trahit une incapacité de comprendre que l’internet n’est pas qu’un lieu de commerce national, c’est un lieu d’échange mondial et instantané. Bien sûr, ça implique fatalement des dérapages, mais pourquoi chercher à masquer la réalité au public (et, là encore, par l’intermédiaire des services techniques, absolument pas formés à juger le contenu, qu’elle est belle la privatisation à la française) par la censure plutôt que par l’information et la facilitation du pouvoir aux internautes de bonne foi de prévenir les autorités du pays qui héberge le contenu répréhensible ? Comment peut-on obliger ainsi des millions de gens à pratiquer la tactique de l’autruche plutôt que de participer à la construction d’un monde qui risque de finir par les ignorer ?
Enfin, mentionnons la honteuse attitude des médias télévisuels français dans l’histoire : ce scandale a éclaté il y a bien trois semaines, maintenant, et c’est le silence radio… pardon télé. Tout juste en ai-je entendu rapidement parler dans l’émission économique de TF1 à l’heure où tout le monde va se coucher et sur France 5, que presque personne ne regarde. Les tentacules de l’industrie française du disque sont décidément longues et nombreuses ! A la radio, ça va un peu mieux, puisque certaines émissions ont fait état de l’inquiétude des internautes et retransmis les réactions des ministres incriminés et des députés. Cette absence de médiatisation, combinée à l’astucieux couplage de cette loi avec la législation des prix sur la téléphonie mobile, qui ELLE a été largement médiatisée, (et là tout le monde applaudit en coeur), a largement contribué à étouffer la réaction de rejet en masse, qui pourtant a eu lieu. Et aujourd’hui, plus personne ne peut l’ignorer.
C’est d’ailleurs pour cette raison que Nicole Fontaine a rencontré les directeurs des fournisseurs d’accès et hébergeurs français. Mais, après avoir pourtant déclaré à la presse que “La disposition actuelle ne restera très probablement pas en l’état”, elle a refusé de faire évoluer son point de vue. A l’heure où j’écris ces lignes, le vote des sénateurs, dernier barrage avant les décrets, a été repoussé de plusieurs mois après la date prévue en février. Est-ce afin d’attendre que le calme revienne et qu’on puisse tranquillement faire passer ce texte inique ? On n’en serait plus à ça près…
Et bonjour chez vous !
Episode 8 (15/02/2004) : Vive le plantage libre !
Il est un pays où les programmes naissent, poussent, grandissent, grossissent et phagocytent, mais ne meurent pas. Dans ce vaste pays où les jardiniers sont très nombreux et engagés à développer plein de nouvelles espèces sans se soucier de leur qualité, de leur viabilité, de leur utilité, de leur taille et de leur constitution face aux agressions extérieures, règne un culte du secret fort compréhensible. De la même façon que les fabricants d’OGM refusent qu’on renseigne de leur présence dans les produits du commerce ou que les fabriques de tabac restent évasives sur les composants présents dans leurs cigarettes, dans ce pays l’ADN des plantes doit rester caché. Et le fait que la plupart des armées du monde utilisent ces espèces de programmes ne change rien à l’affaire, quand bien même si ces derniers pourraient devenir plus envahissants, indiscrets, voire nocifs ou handicapants. Le secret, voilà le secret de la réussite. Evidemment. La preuve : jusqu’ici, ça marche !
Tout allait bien dans ce meilleur des mondes quand un jour survient une catastrophe : l’ADN des deux espèces, labellisées “Windows 2000” et “Internet Explorer”, a été victime d’une fuite. Comprenez que les données qu’ils code ont été révélées sur le réseau planétaire. La faute apparemment à un exportateur du nom de Mainsoft, intermédiaire rattaché au programme “Licences Gouvernementales contre Code Source” auquel participent certains états ayant manifesté un peu plus tôt leur intérêt en faveur des semences libres qui atteignent de nos jours une facilité de culture quasi-identique mais avec une fiabilité, une vitalité et une traçabilité bien meilleures.
Les hautes instances du pays producteur ont tôt fait de dédramatiser la situation, en annonçant que le problème est pris au sérieux, mais que seuls des fragments du code ont ainsi été libérés contre leur gré et que ça ne menace pas la sécurité des utilisateurs. Et d’ajouter, dans un éclair de cette assurance opportuniste qui n’appartient pas qu’aux grands requins de la finance, qu’il s’agit plus d’une affaire de viol de copyright que de problème de sécurité.
Pourtant, nul besoin d’être grand chêne centenaire dans le vaste domaine de l’Informaticus Personalus pour savoir que “quelques fragments” de code ne permettent pas de produire un clone génétiquement modifié, alors que ça peut donner à de la mauvaise graine le moyen de découvrir de nouvelles failles au coeur de deux spécimens dont les caractéristiques communes avec les passoires n’ont, elles, plus rien de secret depuis longtemps. Rappelons que c’est l’ancien président de ce même pays qui affirmait encore il y a quelques semaines, et sans rire, que le nombre important de failles découvertes, de par leur colmatage, contribuaient à renforcer la solidité de ses plantes.
Et bonjour chez vous !
Episode 9 (07/03/2004) : C’est DRMatique
Question à mille brouzoufs : que faire quand on a besoin de sous et qu’un marché se développe exponentiellement ainsi que la popularité de ses services d’échange ? Pour paraphraser Cédric Ponsot, qui est à Universal Mobile ce que Pascal Nègre est à Universal Music France et qui s’exprimait la semaine dernière lors d’une conférence du 3GSM, il faut mettre des DRM ! Plein de DRM !!
Les DRM, vous aimez ? Dommage, il va falloir en reprendre ! Et cette fois, c’est sur les téléphones portables que ça se passera. En effet, selon le monsieur, il devient absolument nécessaire de protéger nos artistes contre le piratage de fichiers protégés par les droits d’auteur sur les mobiles. Pas question ici de sécurité de l’utilisateur contre les intrusions et autres virus, là on parle de gros sous : le marché des sonneries est ainsi évalué à 4 milliards d’euros, et les majors n’en percevraient “que” 400 millions. Une vraie honte. Dommage qu’il n’y ait pas de grand méchant loup clairement identifié à accuser, à l’instar des Napster, Kazaa et autres eDonkey… Mais qu’à cela ne tienne, on va faire en sorte qu’il faille verser des droits pour pouvoir utiliser un air de musique ou une images si on souhaite personnaliser son téléphone.
En clair, maintenant il va falloir payer encore plus cher qu’entre 1 et 2 euros pour télécharger une sonnerie qui n’est rien de plus qu’un bout de fichier MIDI transcrit à la va-vite, d’une qualité telle que n’importe qui pourrait en faire autant avec un petit freeware et des fichiers retranscrits par des amateurs disponibles sur le web. Avec impossibilité d’en faire profiter ses proches sans passer par la caisse, bien sûr. Et, qui dit protection des fichiers dit formats de données propriétaires, donc inutile d’espérer utiliser vos propres créations, puisqu’on part du principe que ça sera forcément du pillage d’oeuvres existantes. C’est bien connu : les vrais artistes sont tous enregistrés à la SACEM ! Quant à l’intéropérabilité entre ces DRM pour mobiles et ceux pour les ordinateurs, l’alliance OMA penserait à la gérer dans un futur, disons… pas à trop long terme.
En parallèle de l’affaire des SMS savamment entretenu à un prix exorbitant par les opérateurs, voilà bien le nouveau visage des droits d’auteur en France. Utilisés à tire-larigot, y compris pour essayer le combler le trou financier laissé par une gestion du marché en dépit du bon sens, et si possible tout en remplissant les caisses des éditeurs en mal d’évolution . “Un artiste n’est pas un simple produit, une bouteille de Coca-Cola”, a dit le patron d’Universal Mobile. Ce à quoi j’ajouterais volontiers que ce n’est pas non plus une vache à lait.
Et bonjour chez vous !
Episode 10 (21/03/2004) : Entre ce qu’on dit et ce qu’on pense…
Cette chronique aurait pu s’intituler “Ce à quoi vous avez réchappé sans le savoir”. En effet, dans la nuit du 10 au 11 mars dernier s’est joué un vote dont l’issue aurait pu s’avérer pour le moins inquiétante pour les utilisateurs de l’outil informatique que nous sommes devenus. L’objectif était, pour le Parlement Européen, d’adapter et de préciser l’application des droits de la propriété intellectuelle et industrielle. En d’autres termes la lutte et la sanction contre la contrefaçon et le piratage, chacune se voyant nettement renforcée.
Au final, un vote sans trop de surprise : la loi a été adopté à une très large majorité. L’opinion des deux côtés de la balance (éditeurs d’un côté, défenseurs de la vie privée de l’autre), ce qui tend à indiquer que la loi n’est pas mauvaise. Mais elle a bien failli déraper… et sous l’influence de la France, qui plus est !
Plus précisément à cause de Janelly Fourtou, qui est, pour rappel, l’épouse de Jean-René Fourtou, lui-même président de Vivendi Universal, le plus gros éditeur du pays. Députée européenne et rapporteur du texte, elle se voulait rassurante quant au bien-fondé de cette loi, en affirmant notamment que seule le piratage commis à échelle commerciale est visé et que, je cite, “l’exception de la copie privée en sort renforcée”… tout en se gardant bien sûr de révéler qu’elle-même avait été plus qu’active pour essayer de faire passer une directive qui, elle, ne visait pas du tout les “grands” pirates, mais l’utilisateur de base. Je vous en livre un morceau particulièrement croustillant :
Lorsqu’il existe un risque démontrable de destruction des éléments de preuve, avant même l’engagement d’une action au fond, les Etats membres prévoient que les autorités judiciaires compétentes peuvent, en cas d’atteinte, réelle ou imminente, à un droit de propriété intellectuelle, autoriser en tout lieu, soit la description détaillée avec ou sans prélèvement d’échantillons, soit la saisie réelle des marchandises litigieuses ainsi que toutes preuves pertinentes relatives à l’atteinte alléguée. Ces preuves comprendront, dans les cas appropriés, les équipements et le matériel utilisés dans la production et/ou la distribution des marchandises litigeuses et tous les documents y afférents. Ces mesures sont prises par ordonnance sur requête et, le cas échéant, sans que l’autre partie soit entendue.
Une fois n’est pas coutume, le texte est étrangement limpide : en cas du moindre doute quant à l’honnêteté de son utilisation de documents protégés, l’utilisateur se voit exposé à une perquisition immédiate, un gel de ses comptes et une saisie de ses biens. Tout cela sous la seule demande de compagnies privées (les éditeurs, dont on connait déjà la grande sagesse), et sans avertissement ni possibilité de se défendre. Mentionnons également que le “risque démontrable de destruction des éléments de preuve” est toujours vrai dès qu’on parle d’informatique. A vous d’imaginer les applications possibles.
Heureusement, l’amendement a été, semble-t-il, ignoré par le Parlement Européen. Le lobbying ne gagne pas toujours. Cela dit, inutile de vous cacher que la France a désormais une image plus que douteuse sur les forums où on blâmait les DMCA américains (lois renforçant jusqu’à convergence extrême les copyrights et les brevets logiciels) lorsqu’ils furent votés.
Et bonjour chez vous !
Episode 11 (04/04/2004) : Pigeonneries
Petite devinette : qu’est-ce qui est petit, gris-bleu, a l’air idiot et est plus rapide que l’ADSL ? Non, il n’y a pas d’intrus à chasser de la liste… Vous ne trouvez pas ? C’est pourtant simple : un pigeon !
Vous n’y croyez pas ? C’est pourtant ce que prouve une expérience très sérieuse menée dans le nord d’Israël au mois de mars dernier. Trois pigeons voyageurs ont transporté ensemble 4 Go de données sur 100 km en moins de 4 heures, réalisant ainsi une transmission de données à quelque 2270 kilobit/seconde, à comparer aux 512 qu’offre une ligne ADSL classique. Quelle belle leçon donnée à tous ceux qui ne jurent que par la fibre optique et le centraux DSLAM ! Le bilan de l’expérience ne se gène d’ailleurs pas pour les égratigner au passage : le pigeon voyageur ne nécessite pas d’installer de coûteuses infrastructures terrestres et sous-marines, ne craint pas les coupures de courant et se recharge d’énergie par lui-même sur le chemin. Reste le problème de son temps de latence, évidemment, mais on ne peut pas leur demander d’aller aussi vite que les électrons, quand même !
En tout cas, les pigeons n’ont pas fini de nous étonner. Et ce n’est pas nouveau : savez-vous que durant la seconde guerre mondiale, les nazis en ont utilisé pour permettre à leurs éclaireurs de transmettre leurs observations de manière rapide et fiable, notamment lors de l’attaque de l’Angleterre ? Pour s’en débarrasser, les alliés ont dû développer leurs propres commandos d’oiseaux carnassiers, après avoir fait de quelques spécimens allemands d’officiels prisonniers de guerre !
Mais il n’y a pas que la vitesse et le sens de l’orientation qui sont intéressantes chez le pigeon : le pouvoir de sa cervelle continue de surprendre les scientifiques qui se penchent dessus. Il est même aujourd’hui considéré comme un des animaux les plus intelligents – relativement à la taille (minuscule) de son cerveau, bien sûr. Certes, il ne s’agit pas d’intelligence de type raisonnement, mais il possède une capacité de prendre des décisions immédiates face à des choix difficiles et en situation de forte pression, qui lui permet notamment de très bien s’adapter à la vie trépidante en plein centre d’une ville moderne. De plus, il a été montré que le pigeon est capable d’analyser un objet dans l’espace nettement plus vite que l’humain, et avec autant, sinon plus de détails : une étude a récemment démontré qu’ils étaient capables d’apprendre à faire la différence entre un Van Gogh et un Chagall. Et ce n’est pas un hasard si le système de classement de pages web inventé par Google, qu’une large majorité d’internautes utilise régulièrement aujourd’hui, s’appelle PigeonRank…
Pour en revenir aux individus de la race des “computerus data carrierum”, il faut leur reconnaître un avantage supplémentaire : les virus qu’ils peuvent transporter avec eux ne nous concernent ni nous, ni nos ordinateurs, et ils ne véhiculent pas de spam. Et question cyber-terrorisme, on peut être rassuré : il n’y a que dans les films d’Hitchcock qu’ils sont capables de faire des attaques de type “Denial Of Service” !
Et bonjour chez vous !
Episode 12 (18/04/2004) : Plus dure sera la chute
Dure époque pour les héros. On ne le répétera jamais assez : méfiez-vous des hauteurs auxquelles vous mènent vos exploits, car la grosse tête vous guette et vos anciens soutiens ne manqueront pas de se retourner contre vous. Et sur ce point le monde informatique n’est pas très éloigné de la vie en général, comme en témoigne la situation dans laquelle se retrouve aujourd’hui Jon Johansen, alias “DVDjon”, l’illustre hacker norvégien de 19 ans qui a récemment fait plier la toute-puissante RIAA dans l’affaire de DeCSS, le casseur du cryptage des DVD Vidéo. Il est dès lors devenu une véritable figure de proue du mouvement en faveur du logiciel libre et de défense du “fair use”, à savoir l’utilisation de protections contre la copie suffisamment souples pour permettre une utilisation décente des contenus légalement acquis.
Après cette éclatante victoire sur la protection des DVD, la machine Jon s’est emballée et son nouveau défi n’est rien moins que le marché émergent de l’année 2004 : la musique en ligne. Et c’est directement au plus gros poisson du lac qu’il s’attaque, puisque c’est le format AAC d’Apple qui est visé. Le concept du programme est simple : donnez-lui un fichier protégé en entrée, il vous donne le même fichier en sortie, mais sans protection. Mais pour pouvoir faire tourner le programme, il faut disposer de l’autorisation de lire ce fichier, donc l’avoir acheté. D’où un but exprimé plus noble que de la piraterie pure et simple : l’idée est surtout de permettre à l’acheteur d’utiliser son acquisition sans limite et comme bon lui semble.
Seulement voilà, en s’attaquant au leader du marché, DVDjon s’est également attaqué (pour une fois) au plus respectueux des libertés des consommateurs. Car il faut remarquer que les conditions d’utilisation de l’iTunes Music Store d’Apple, contrairement à celles de ses concurrents, sont tout sauf aliénantes : pour un dollar et sans abonnement, toute chanson achetée est lisible à l’infini sur trois ordinateurs différents et sans limitation de durée, avec possibilité de la copier sur autant de CD et d’iPod (le célèbre baladeur MP3 de la firme) qu’on le souhaite. Par ailleurs, Jon se garde bien de toucher au format WMA, principal concurrent du AAC et aux conditions d’utilisation beaucoup plus strictes à prix généralement identique. Voilà comment se donner, même involontairement, une image de rétrograde réfractaire se contentant de vouloir tirer à boulets rouge sur un symbole plus que sur une réelle situation de scandale.
Du coup, la communauté, autrefois unanime derrière DVDjon se trouve aujourd’hui divisée entre ceux qui continuent à croire à un monde informatique sans DRM (ou sans Apple) et ceux qui veulent défendre une compagnie qui entend lutter contre le piratage par un compromis qui puisse arranger tout le monde. Les premiers prônent la libre utilisation des contenus achetés en oubliant de préciser qu’il est très facile de dé-protéger tout à fait légalement un fichier obtenu via l’iTunes Music Store (utiliser l’analogique ou le graver puis le ré-extraire juste après, par exemple) ; les seconds prônent l’adaptation aux impératifs économiques dans le respect de l’utilisateur en oubliant de mentionner qu’Apple continue de n’ouvrir son format qu’à un seul baladeur : le sien.
Et bonjour chez vous !
Episode 13 (02/05/2004) : Jugement pirate
Vous en avez peut-être entendu parler dans les médias, cette semaine ont eu lieu six arrestations et jugements pour piratage via l’internet de films protégés par droits d’auteur. Cette affaire a été relayée par les médias de masse, comme la télévision et la radio, mais, curieusement, les journaux et magazines plus spécialisés ont été apparemment plus réticents à s’attarder dessus. Pourtant, il s’agit bel et bien d’une première en France, et probablement dans le monde, puisque même les Etats-Unis s’en sont jusqu’ici cantonnés aux fichiers musicaux. Décidément, on n’arrête pas l’exception française.
La tête d’affiche de cette affaire est un retraité breton (ça contraste avec la fillette de 12 ans à qui la RIAA avait collé 2000 dollars d’amende, non ?) qui téléchargeait des films en peer-to-peer et les revendait via un site web où il tenait en ligne son catalogue personnel. D’aucuns auront du mal à éprouver de la pitié face à une telle preuve de bêtise, mais le cas des cinq autres est plus intéressant, dans la mesure où eux ne pirataient que dans le cadre d’une utilisation privée, c’est à dire pour leur consommation personnelle, sans les revendre. Une contradiction totale avec la récente loi européenne stipulant que la cible principale des autorités devait être le piratage organisé et lucratif, donc.
Comme l’a mentionné l’un des accusés en disant “on a jugé six personnes, alors que six millions de Français téléchargent sur internet”, il s’agissait bien sûr de faire un exemple. Un bâton sans carotte, en quelque sorte, puisqu’il n’existe toujours aucune offre de téléchargement légale en France. Les sanctions demandées par les majors allaient jusqu’à 25 000 euros mais ont été échangées par les juges contre une somme de 4000 euros et 3 mois de prison avec sursis. Rappelons que dans notre beau pays, un voleur de voiture multi-récidiviste, pourtant nettement plus nuisible envers la société, s’en tire avec à peine plus. Et encore, il faut que le dossier soit particulièrement béton.
En parallèle d’une LEN liberticide, clairement dictée par ces mêmes majors, que les députés font passer avec une incroyable passivité et que le sénat ose à peine égratigner, cette triste histoire ne fait que confirmer ce qu’on redoutait : en France, les éditeurs ont vraiment le bras long. Et en l’absence de toute offre de substitution officielle, on peut franchement se demander s’ils sont réellement du côté de la culture qu’ils prétendent à cor et cri vouloir défendre.
Et bonjour chez vous !
Episode 14 (16/05/2004) : Poison et antidote, le 2-en-1 américain
Si on fait fi de l’attitude globalement peu soucieuse de la part des Etats-Unis à l’égard d’autrui et des dégâts qu’on peut occasionner chez lui, il est une vérité qui demeure à leur sujet. Technologiquement parlant, la plupart des décisions et directions qui y sont prises et qui vont dans une direction discutable sont généralement suivies de corrections appréciables, et ce à plus ou moins court terme. Et ces deux dernières semaines ont été particulièrement révélatrices à ce niveau.
En premier lieu, parlons de technologie pure. Après plus d’un an de tumulte généralisé et ininterrompu autour de Palladium (et auquel le re-baptême en “NGSCB” n’aura pour ainsi dire rien changé), Microsoft a révélé que finalement cet élément ne serait pas intégré à la prochaine version de Windows, contrairement à toutes les annonces précédentes. Le grand public n’a visiblement guère apprécié l’idée que la décision de ce qu’il pourrait faire ou ne pas faire avec l’ordinateur qu’il se payerait appartienne à quelqu’un d’autre que lui-même. Selon les propos du porte-parole de la firme, certains éléments de Palladium devraient tout de même être présents, mais gageons qu’il s’agit essentiellement là d’une façon de se retirer sans trop perdre la face. Il est toujours difficile de reconnaître ses torts en gardant la tête haute, même en étant leader du marché, surtout quand on a pris ouvertement les gens pour des délinquants et des imbéciles pendant autant de temps.
Ensuite, et là il s’agit d’un élément plus fondamental, car politique : le DMCA pourrait prochainement être amendé. Pour nous européens, pas forcément au fait des législations américaines, cela peut sembler assez lointain, et pourtant… Car le DMCA, alias “US Digital Millennium Copyright Act”, est ce texte qui a été voté en 1998 dans le but d’unifier les législations concernant les droits d’auteur. Son principal point de critique était qu’il dépossédait l’utilisateur du droit de copie de sauvegarde à partir du moment où le support originel était protégé contre la copie, ce qui apparaît pourtant comme pour le moins inique dans le monde d’aujourd’hui où les médias utilisables pour une même oeuvre sont multiples. Le résultat est là : aujourd’hui, Rick Boucher, l’auteur-même de la loi incriminée souhaite la modifier en profondeur afin d’y réintroduire le droit à la copie personnelle. Ce n’est pas un combat gagné d’avance, notamment face aux majors qui s’y opposent bien évidemment farouchement, mais c’est clairement un pas dans la bonne direction, même s’il s’agit en fin de compte d’un pas en arrière.
Au final, le plus ironique dans l’histoire est probablement que c’est en Europe que la situation devient franchement inquiétante. Et certains iront même jusqu’à dire : “surtout en France”, fort logiquement. En plus de la LEN, définitivement votée cette semaine et qui accorde un pouvoir et devoir de censure façon “dans le doute, ne prenons pas de risques” aux hébergeurs web et détruisant quasiment le délai de prescription pour la presse online, notre pays est aujourd’hui le berceau d’une campagne de présomption de culpabilité généralisée lancée par les éditeurs pour faire pression sur les élus en vue d’une loi anti-copie privée. Mais le reste du continent n’est pas en reste, notamment concernant les amendements salutaires qu’avaient imposé son parlement à propos des brevets logiciels, et que le conseil des ministres entend purement et simplement oublier au cours du vote qui aura lieu demain. Et là, on peut être nettement plus sceptique quant à l’apparition d’un antidote à brève échéance…
Le sobriquet de “vieille Europe” ne serait-il jamais aussi vrai que dans le registre de la technologie ?
Et bonjour chez vous !
Episode 15 (13/06/2004) : Plus c’est gros, plus ça passe
La course au brevet logiciel le plus aberrant serait-elle lancée ? Vendredi 4 juin, un brevet accordé à Microsoft a été rendu public, et il est loin d’être anodin, puisqu’il couvre le lancement d’applications ou de documents grâce aux différents types de clic de souris ! Simple clic, clic prolongé et double clic, Microsoft est théoriquement à même de demander des royalties à quiconque utilise l’un de ces procédés dans un programme. Rassurons-nous un peu, seuls les appareils de poche tels les PDA et les PocketPC sont concernés, et ces dispositifs n’utilisent presque jamais de souris. Mais cela met une fois de plus en évidence le danger des brevets logiciels : Microsoft n’a inventé ni le PDA, ni la souris, ni la façon dont chacun peut être utilisé, et il se retrouve pourtant en possession d’une arme qui pourrait s’avérer redoutable si son champ d’action se trouvait étendu.
Soyons clair : il ne s’agit pas ici de vouloir jouer les arbitres et prétendre savoir à qui un brevet sied le mieux. L’US Patent and Trademark Office (USPTO) n’a pas manqué de préciser que le brevet sur le clic serait réexaminé si quelqu’un d’autre pouvait en revendiquer la paternité. Mais le problème de fond demeure : dès que le brevet est attribué une première fois, ce n’est qu’une question de savoir quel loup est entré en premier dans la bergerie. Et personne n’est innocent. Apple, par exemple, a récemment obtenu un brevet pour l’interface graphique de son iPod, alors qu’il s’agit beaucoup plus de design que d’une avancée technique réelle.
Certes, ce n’est pas la première fois que cela arrive aux Etats-Unis, d’aucuns diront même que c’est de bonne guerre. Et l’histoire aurait même pu paraître ironiquement amusante aux yeux des européens que nous étions il y a encore quelques temps. Et le “étions” est de circonstance, car comme beaucoup le craignaient, notre chère communauté européenne semble éprouver une irrésistible envie de suivre le même chemin ultra-permissif. En effet, malgré le vote du parlement de septembre dernier, relativement juste au final (autorisation des brevets mais sous réserve de critères très rigoureux et permettant leur infraction pour les dispositifs d’interconnexion entre différents systèmes informatiques), les ministres européens ont, le 18 mai dernier, purement et simplement ignoré tous les amendements apportés et conservé l’accord d’origine, encore plus libéral que celui des américains. Le vote s’est joué à quelques voix près, et c’est bel et bien la trahison des représentants français et allemand qui ont provoqué ce triste dénouement : Jaques Chirac avait publiquement exprimé son refus des brevets logiciels dès son élection de 2002 et le représentant allemand avait promis de voter contre quelques jours avant le vote. Inutile de vous dire que l’envie d’aller voter aujourd’hui pour les européennes ne se fait pas irrépressiblement sentir chez votre humble chroniqueur.
Si les choses ne s’arrangent pas d’ici le vote final sur les brevets en Europe, espérons qu’il apparaîtra alors vite une initiative comme celle initiée justement cette semaine aux USA par l’Electronic Freedom Foundation (EFF). Son “Patent Busting Project” est un concours public visant à désigner les brevets les plus abusifs. Les malheureux gagnants deviendront alors la cible d’une batterie d’avocats, juristes et experts en brevets qui feront tout pour faire annuler ces “offenses pour l’univers de la propriété intellectuelle”. Après la révocation du brevets d’Eolas sur les plug-ins internet qui avait fait risquer à Microsoft plus de 500 millions de dollars de dommages et intérêts, l’initiative n’est pas illusoire et a le mérite d’exister.
Et bonjour chez vous !
Episode 16 (04/07/2004) : Scob itou
On commençait à avoir l’habitude, pour ne pas dire qu’on se sentait comme dans une routine devenue quasi-lancinante : samedi dernier est apparu sur le web un nouveau virus exploitant les vertus verminophiles des logiciels Microsoft. Eh oui, encore un. Et celui-là se permet des frasques que la plupart de ses prédécesseurs, aux tendances plus gênantes que méchantes, n’avaient pas osé pratiquer : capturer vos mots de passe et numéros de carte bancaire et les expédier sur un serveur située en Russie. Bon d’accord, mais qu’à cela ne tienne, pourrait-on se dire, là encore tout est archi-convenu : téléchargement du correctif sur PetitMou.com, patch, reboot, et voilà…
Eh bien non, perdu, pas cette fois-ci ! La raison ? Figurez-vous que ce cher Scob – car c’est son petit nom – est un virus/ver/troyen comportant deux modules : un se greffant sur un serveur de pages web, et l’autre sur le navigateur du client qui vient visiter ces pages. Et qui dit deux modules dit alors deux failles dans les logiciels Microsoft, et donc deux fois plus de systèmes sur lesquels appliquer une rustine, retardant d’autant la réaction de défense. Détail qui ajoute encore un peu plus de piquant : lesdites rustines n’existaient pas au moment de la révélation de l’existence du virus… Manque de bol, chez Microsoft on ne publie pas de mise à jour le week-end.
Le correctif est finalement sorti six jours plus tard, vendredi dernier. Il ne s’agit d’ailleurs pas vraiment d’un correctif car il se contente de désactiver la fonctionnalité incriminée afin de contourner le problème en attendant une vraie rustine, mais qu’importe, ça permet aux utilisateurs de retrouver leurs repères et de se sentir à nouveau en “sécurité”. Soit. Toujours est-il que, cette fois-ci, ces quelques jours de latence ont poussé un certain nombre d’experts en sécurité informatique tel l’US-CERT (US Computer Emergency Readiness Team) à – enfin – sortir de leurs réserves vis-à-vis de Windows et de son fourbi Internet Explorer. “Use a different web browser” : le message a le mérite d’être clair.
Instantanément relayé par une bonne partie de la presse online puis sur bon nombre de forums de discussion, il a fini par provoquer son petit séisme, comme en a témoigné la brusque augmentation du nombre de visites sur les sites web de Mozilla et d’Opera, principaux concurrents du tout-puissant brouteur de Microsoft. Peut-être le début d’un mouvement de ras-le-bol atteignant enfin le tout un chacun ? Quand on sait qu’en plus d’être une véritable passoire, Internet Explorer n’a pas connu d’évolution significative depuis plusieurs années alors que les autres sont en amélioration constante, on se dit qu’il serait temps que les habitudes changent.
Et il se pourrait bien que ça ne soit pas le seul mouvement de fond récemment initié contre le géant omnipotent du logiciel : après avoir définitivement perdu la clientèle des gouvernements israélien et brésilien il y a déjà quelques mois, Microsoft n’a pu que voir, impuissant, les villes de Munich en Allemagne et de Bergen en Norvège amorcer leur transition au logiciel libre. Et ce n’est pas fini : quelques jours plus tard, Renaud Dutreil, notre ministre de la fonction publique, annonçait envisager une migration similaire afin de faire des économies sur le million d’ordinateurs qu’elle exploite, tandis que le Dr. A Kalam, le président de l’Inde conseillait ouvertement à ses collègues scientifiques d’opter pour l’open source au lieu des dangerosités propriétaires traditionnelles.
Bill, si tu me lis, ne jubile pas trop de ta victoire en cour d’appel américaine concernant le procès anti-trust dont l’issue était déjà connue depuis le 13 décembre 2000 : il se passe des choses dans le monde en ce moment !
Et bonjour chez vous !
Episode 17 (18/07/2004) : Logicieloplégie
Le bug de la SNCF qui a eu lieu jeudi dernier, vous en avez sûrement entendu parler. Juste quelques jours avant la période la plus noire de monde dans les gares, le système de réservation de billets de notre chère entreprise nationale de transport ferroviaire lâche les guichets, et des milliers de voyageurs sont obligés de s’agglutiner derrière les distributeurs automatiques, voire de prendre leur train sans sésame. Que s’est-il donc passé ?
Les équipes techniques de la SNCF ont bien sûr été dépêchées afin de résoudre le problème, mais tout ce qu’elles ont pu faire, c’est établir que le système “Mosaïque”, le serveur central de réservation via guichet, était la principale cause de la paralysie. Un reboot global du système a bien arrangé la situation, mais seulement pour une petite heure avant que le crash survienne à nouveau. N’ayant elle-même que peu d’emprise sur le logiciel installé, la SNCF a alors fait appel au concepteur du système : Microsoft. Après une nouvelle demi-journée de travail pendant laquelle plus aucun guichet n’était à même de délivrer le moindre billet, les conclusions ont commencé à arriver : “ce qui semble pour l’heure certain, c’est que le problème n’a pas été causé par un virus et qu’il est plus probable que le problème soit interne qu’externe.” En français, ça veut dire que le logiciel est buggé, mais qu’on ne sait pas à quel endroit.
D’où réaction logique : retour à la version précédente du système, qui n’avait jamais affiché ce genre de problème. Mais alors, pourquoi diantre est-il encore difficile de se procurer un billet au guichet, deux jours après ? Tout simplement parce que cette ancienne version n’est capable de supporter la charge que de 2800 terminaux sur les 4400 existants aujourd’hui. Et en pleine période de grands départs, difficile de ne pas parler d’un gigantesque pas de géant en arrière. Laissez donc travailler tranquillement les concepteurs du système et débrouillez-vous pour gérer la situation face aux utilisateurs qui le financent en payant leurs impôts.
Montré du doigt depuis plusieurs mois par bon nombre de techniciens et d’organisations syndicales, ce système est à l’image de ce à quoi les administrations publiques devraient unanimement renoncer aujourd’hui : un ensemble de technologies 100% propriétaires. Le fait que, dans ce cas-ci, les technologies en question proviennent de chez Microsoft n’est ici pas le sujet, l’essentiel est de se rendre compte de l’absurdité de la situation. A cause des pratiques obscures d’un concepteur privé, le service public est incapable de gérer tout seul son (onéreux) système informatique, et c’est le public qui trinque.
Aujourd’hui, il existe enfin un remède contre ce type de paralysie : le logiciel libre, dont l’entreprise qui l’utilise possède toutes les clés et sur lequel elle peut elle-même intervenir. Comme je vous l’exposais dans ma précédente chronique, certaines administrations, en France et ailleurs dans le monde, commencent à s’y mettre. Et ce triste événement nous confirme qu’il est plus que temps que ce procédé se généralise partout où la vie des citoyens est concernée.
Et bonjour chez vous !
Episode 18 (01/08/2004) : Pire ratage
Les fidèles lecteurs de cette chronique se rappellent probablement des propos de Lamar Smith, un député Texan, en novembre 2002, qui disait en substance qu’un gamin devant un ordinateur était devenu potentiellement aussi dangereux qu’un criminel endurci ou un terroriste. Eh bien sachez qu’il aura fallu moins de deux ans pour que cette façon de voir les choses débarque en France. Et à qui doit-on cette avancée spectaculaire vers la cyber-répression généralisée ? Bingo, aux éditeurs de musique !
Revenons deux semaines en arrière : le 15 juillet dernier était lancée, sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy, l’élaboration d’une charte anti-piratage, prévue pour mettre d’accord les éditeurs, les détenteurs de droits d’auteur et les fournisseurs d’accès à internet. L’initiative semblait louable, car cela faisait un bon moment que régnait la cacophonie générale, chacun des trois pôles défendant ses intérêts sans dialogue possible. Mais l’issue de cette réunion, comme on pouvait le craindre, n’a pas laissé une seule chance aux internautes. Lesquels, d’ailleurs, n’étaient même pas directement représentés au cours des échanges. Les FAI n’ont pas eu d’autre choix que celui de rendre les armes face à l’oligopole des maisons de disque qui a déjà, rappelons-le, mis le gouvernement sous sa coupe à l’occasion de la LEN et a, tout de suite après, lancé ses premières poursuites judiciaires à l’encontre d’internautes au hasard, pour l’exemple.
Les règles imposées par cette charte se distinguent donc en trois parties :
– côté FAI, le schéma d’action est toujours le même : il faut empêcher les internautes de pratiquer le peer-to-peer à tout prix. Ainsi, les fournisseurs d’accès sont sommés de faire de retirer les messages suggestifs de leurs publicités, de faire de la prévention et d’envoyer des avertissements au moindre soupçon de cette honteuse pratique que celle d’échanger des fichiers. Et, sur injonction d’un “juge compétent”, ils devront couper l’accès. Enfin, en toute logique, la possibilité d’exiger un barrage de flux P2P est à l’étude.
– côté gouvernement, le point essentiel est la prévention dès l’école. Si si, dès l’école. Pour rappel, il aura fallu plus de 20 ans pour qu’enfin les premiers messages anti-obésité trouvent le chemin vers les salles de classe et les cours de récréation. Eh bien pour le piratage, dont les effets ne sont pourtant pas sanitaires mais purement économiques et privés, c’est allé dix fois plus vite. Sans commentaire.
– côté éditeurs, là par contre, c’est nettement moins contraignant. La seule exigence est celle de développer le commerce de musique en ligne et d’en faire passer le catalogue de 300 000 à 600 000 titres. Juste pour mémoire, la boutique en ligne d’Apple, lancé le mois dernier, en offrait d’office plus de 700 000. Autrement dit, engagement quasi-nul.
Rappelons qu’une charte n’a pas la valeur d’une loi, d’une ordonnance ou même d’une circulaire. Mais les acteurs au premier plan de cet accord de couiner quand même : les associations de consommateurs (notamment UFC-Que Choisir) et les internautes ne verraient de ce texte que ses aspects répressifs. Alors pourquoi avoir avoir choisi précisément cette occasion pour prétendre vouloir « faire de la lutte contre la piraterie sur Internet une priorité de l’action politique, policière et judiciaire », comme si le peer-to-peer menaçait la sécurité de l’Etat au plus haut point ? Entre les politiques qui craignent que les sites web publiques soient taggés par un petit malin et les éditeurs de musique qui redoutent de devoir adapter leur modèle économique aux réalités du web, qui a le plus peur du piratage, à votre avis ?
Et bonjour chez vous !
Note : que mes lecteurs me pardonnent, je souhaitais clôturer cette troisième saison de la Chronique de Celeri de manière plus distrayante et légère, mais hélas la réalité n’a pas manqué d’être là pour me rappeler que l’appétit et la mauvaise foi des grands groupes n’est pas atténué lors des périodes de vacances, fussent-elles estivales.
Bonnes vacances à tous !