IV-07 (09/01/2005) : Troisième round, et le match continue


Si je devais pondre une série “Ce à quoi vous avez échappé sans le savoir”, ce serait mon deuxième épisode : il est en effet peu probable que la majorité de mes lecteurs soit au courant de ce qui a failli se produire, il y a quelques semaines de cela. Aussi, pour commencer l’année, je vous propose donc une petite rétrospective d’une histoire qui est encore loin d’être terminée…

On pensait que c’était fini, que c’était l’apanage des gauchistes du milieu du siècle passé, que ça n’arriverait plus à notre époque. Et pourtant si, c’est arrivé. Ou plutôt ça a failli arriver, car un héros est intervenu in extremis, comme dans les films et les feuilletons à suspense. Ca en serait presque beau si le contexte n’était pas si brûlant.

Rappel des faits :

– le 29 septembre 2003, le projet de loi sur la brevetabilité des logiciels en Europe est examiné par le parlement européen. Mû par de réels débats, il finit par conclure au danger des brevets à l’américaine et impose des limitations, sous forme d’amendements, à ce qui peut être breveté et à quel niveau.

– le 8 avril 2004, après des mois de discussion dans le secret des coulisses, la présidence irlandaise de l’Union Européenne renvoie la proposition de directive à la case “politique”. L’Irlande veut que les ministres des États membres se mettent d’accord pour que toute objection soit levée en mai, mais la proposition de la Présidence rejette tous les amendements du Parlement européen.

– le 7 mai, le Conseil de l’UE cherche à balayer le vote du Parlement sans discussion en demandant la majorité qualifiée en faveur d’un texte de loi encore plus permissif et flou que l’initial.

– le 18 mai, une (courte) majorité est obtenue sur fond de pratiques douteuses : le texte doit en effet son adoption à une manoeuvre de la délégation allemande, qui avait rassemblé l’opposition sous son drapeau, pour à la dernière minute se contenter d’un amendement buggué et entraîner avec elle les polonais et les lettoniens. Les représentants des Pays-bas, de la Hongrie, du Danemark et de la France ont, quant à eux, agi en contradiction totale avec les promesses données de leurs parlements ou leurs gouvernements. Le texte est donc toiletté à la sauce totalitaire et renvoyé vers le parlement pour une deuxième lecture.

– le 1er juillet, le parlement des Pays-Bas désavoue son ministre et le force à retirer son soutien au texte. Dépité, le ministre tente de justifier sa position passée en invoquant une “erreur de traitement de texte”.

– le 19 novembre, la Pologne retire son soutien aux brevets logiciels tels que demandés par le conseil de l’UE. L’exécutif polonais fait ainsi basculer la majorité qualifiée du Conseil des ministres européens dans le camp du “non”.

– le 10 décembre, le Conseil de l’Union européenne annonce reporter à 2005 le vote de la directive sur les brevets logiciels. Mais la suite prouvera qu’il ne s’agissait que d’une manoeuvre mesquine pour relâcher la vigilance des opposants.

– le 17 décembre, en effet, la FFII (l’Association pour une Infrastructure de l’Information Libre) révèle que le conseil de l’UE envisage de faire adopter le texte incriminé… au cours de la prochaine séance consacrée à la pêche et à l’agriculture. Apparemment fort ennuyé d’avoir perdu sa légitimité, le conseil tente ainsi de faire passer sa loi en catimini et sans débat ni vote (car présentée en tant que “point A”).

– le 21 décembre, jour du passage, le ministre de l’agriculture polonais Wlodzimierz Marcinski se déplace lui-même et demande son report à une session ultérieure. Selon lui, les gouvernements ont encore besoin de temps pour rédiger une déclaration constructive. Et d’ajouter que celle proposée par la Commission désavantageait les PME. Les lobbies prêchant en faveur des brevets logiciels s’annoncent bien entendu “choqués”.

Serait-on ici face à un nouvel épisode de David contre Goliath ? En tout cas, la Pologne, fraîchement entrée dans l’Union Européenne, n’hésite pas à se frotter à un des plus gros groupes de pressions sévissant à Bruxelles. Il est difficile de prévoir ce qui se passera en 2005, mais il est clair que la commission est prête à tout pour satisfaire les lobbies industriels qui veulent leurs brevets à tout prix. Mais en face d’eux se dresse un parlement très au fait des dangers de la chose et une communauté européenne plus aguerrie que jamais.

Comment, face à de tels événements, peut-on encore décemment considérer l’UE comme une vraie démocratie ? En plein débat sur la future constitution européenne, il faut très clairement nuancer le discours selon lequel l’Europe n’a pas pour vocation d’usurper la souveraineté de ses nation-membres.

Malgré tout, cela ne doit cependant pas nous faire perdre de vue que plusieurs pays, dont la France, continuent de soutenir, via leur ministre européen, un texte de loi ne respectant ni leurs promesses électorales, ni l’opinion de leur parlement sur le sujet.

La mauvaise foi politicienne n’est décidément qu’une question de point de vue : d’où qu’on regarde, on retombe sur les mêmes mensonges et procédés fallacieux.

Et bonjour chez vous !