IV-13 (17/04/2005) : Flemmardisation assistée par ordinateur


Après les élèves qui utilisent l’internet pour pomper des devoirs tout faits, ce que leurs professeurs leur reprochent à juste titre quand ils le détectent, voici un professeur qui se lance dans l’informatisation de la tâche qu’on attend de lui. Ed Brent, professeur de sociologie à l’université de Columbia aux Etats-Unis, teste depuis 2 années maintenant un programme, baptisé Qualrus, qu’il développe depuis 6 ans. Son but ? Evaluer la qualité des devoirs de ses élèves sans avoir à les lire. Les élèves n’ont qu’à taper leur document sur ordinateur puis l’envoyer via le web et reçoivent leur note dans l’instant qui suit. Le gain de temps de copie est appréciable : ils bénéficient d’un retour immédiat et pour le professeur ce sont quelque 200 heures de travail en moins à fournir par semestre.

Difficile de faire plus pratique, certes, mais peut-on vraiment faire confiance à une machine pour un travail si délicat que l’éducation universitaire ? Brent prétend que son programme analyse non seulement les mots-clés, mais aussi le sens des phrases et l’enchaînement des arguments, ce qui serait suffisant pour évaluer des devoirs de sociologie. Mais est-il capable de saisir des idées nouvelles ? De comprendre les références culturelles ? De vérifier la véracité des faits ? Sait-il tenir compte du respect de la langue ?

D’autre part, le logiciel prend-il la peine de corriger ou nuancer les propos des élèves ? Permet-il de donner des conseils ou ne serait-ce que servir de base au dialogue entre eux et leur professeur ? On apprécierait l’avis dudit professeur sur ces questions, mais celui-ci se borne à regarder le résultat immédiat, à savoir les notes en augmentation au fil de l’année. C’est comme on le voit un argument imparable au vu des objectifs demandés à l’éducation : faire toujours mieux !

En Université, on cherche normalement à discerner les aptitudes spéciales et permettre aux étudiants d’en prendre conscience pour se construire leur propre parcours. Or de tels programmes ne peuvent conduire les élèves qu’à pondre des devoirs répondant à des critères basiques et stricts, pour satisfaire la machine, plutôt que de cultiver des idées qui leur sont propres, quitte à les présenter de façon un peu non-conventionnelle. Et puis, plongez-vous dans vos souvenirs un instant : les professeurs que vous avez le plus apprécié dans votre vie étaient-ils ceux qui corrigeaient le plus vite vos devoirs ou bien ceux qui les barbouillaient de commentaires et étaient disponibles pour discuter ou vous aider ?

Certes, Ed Brent n’est pas le premier à tenter le coup. L’état de l’Indiana, par exemple, utilise depuis l’année dernière un programme similaire (nommé “e-Rater”) pour évaluer les devoirs d’anglais. Pour l’instant, une limite volontaire réduit son utilisation aux collèges. Mais la tendance ne demande qu’à se confirmer : Brent bénéficie d’un budget public de 100 000 dollars pour poursuivre le développement de son programme, et il est déjà à la recherche de distributeurs pour le proposer à des écoles privées, voire à des éditeurs de livres. On n’arrête pas le progrès en marche.

Vous en avez marre de l’uniformisation des idées ? Apparemment, certains professeurs ont commencé à ne plus s’en inquiéter. Mais votre humble chroniqueur aime à penser qu’Ed Brent, qui prend visiblement son métier peu au sérieux, aura tout le loisir d’y réfléchir s’il se fait un jour complètement remplacer par son programme.

Et bonjour chez vous !