“non” irlandais, quelques commentaires

Irlande 1, Europe zéro

samedi 14 juin 2008, 17h12

Cela faisait bien longtemps que je n’avais plus parlé politique dans ce blog. Il y a pourtant bon nombre d’événements qui soulèvent bien des questions, comme par exemple la renaissance de l’ORTF sur le volcan en éruption nommé TF1, mais je ne me sens plus vraiment l’envie de politiser sur mon blog. Ce billet fait donc figure d’exception car le sujet n’est pas lié à qu’à la France et qu’il touche aux notions les plus fondamentales du pouvoir, à savoir les institutions constitutionnelles.

Le peuple irlandais a donc, avant-hier, rejeté le traité de Lisbonne. Un “non” assez franc, puisque représentant plus de 53% des voix. Le traité de Lisbonne, initié par Nicolas Sarkozy peu après son élection à la présidence de la république française, était une sorte de “plan B” improvisé a posteriori pour sauver le traité constitutionnel enterré deux ans plus tôt après avoir été pareillement rejeté par la France et les Pays-Bas. Bref, retour à la case Crise pour l’Union Européenne, et déjà les grandes phrases pleuvent de tous côtés. Et notre cher Président doit tout d’un coup sentir sa proche prise de fonction à la tête de l’Union comme un sacerdoce, lui qui espérait incarner le renouveau de l’Europe.

Que retenir de ce nouvel échec ? A mon avis, principalement que les dirigeants européens ont bien du mal à comprendre comment fonctionnent les gens. D’abord, tous les peuples de l’Union se voient invités à accepter une “constitution”, en réalité une compilation des traités déjà existants, bouillie juridique absolument imbitable pour qui n’a pas au moins un Master en politique communautaire, à laquelle on ajoute une partie constitutionnelle à peine moins difficile à comprendre pour le commun des mortels. La plupart des pays l’acceptent, car les partis politiques majoritaires sont formels : votez “oui”, sinon ce sera le chaos (je caricature à peine).

Puis, coup sur coup, deux pays mettent brusquement fin au processus-fleuve. C’est la crise. Ah bon ? Qu’ont vu les gens, à part des politiciens gesticuler en annonçant les pires présages ? Eh bien… toujours la même Europe, finalement, et qui continue même de s’agrandir. Et puis ils ont vu leurs dirigeants, qui autrefois leur disaient combien l’adhésion populaire était importante, d’un seul coup ressortir la constitution du congélateur, changer son nom et en retirer ce qui faisait déjà partie des traités déjà ratifiés. Ils les ont vus commencer à faire la promotion de ce “nouveau” texte, en allant même jusqu’à le qualifier de “simplifié”, avant de le faire ratifier par les parlements, acquis d’avance, plutôt que par le peuple. Bref, la même chose que la première fois, mais dont seul le processus de ratification était effectivement simplifié.

En mettant de côté tout argument concernant la qualité objective des articles contenus dans le traité de Lisbonne, comment s’étonner de voir que le seul peuple appelé au référendum le rejette ? Impliqué dans un scénario comme celui évoqué plus haut, un tel refus était largement prévisible. Il est parfaitement évident que le “non” irlandais n’est pas un refus du texte, mais une conséquence des manoeuvres maladroites, voire intellectuellement malhonnêtes, des décideurs européens. En tant que responsable politique, il est toujours risqué de faire quelque chose qui puisse donner l’impression à un peuple qu’on se moque de lui. Même s’il n’a pas vraiment conscience de tout ce qu’implique la démocratie, il en retient néanmoins qu’on lui demande son avis, et peut se braquer facilement en cas de crise de confiance.

Je suis convaincu que l’ensemble des peuples européens ne retiendront globalement qu’une chose du traité de Lisbonne : il n’était là que pour faire passer le TCE par un chemin détourné. Puisque le peuple n’est pas capable de voter correctement, dispensons-le de cette lourde tâche. Un peu comme les épinards que les enfants refusent de manger et qu’on leur ressert en gratin le lendemain. Plus un peuple est riche et éduqué, et plus il aura tendance à regarder les manoeuvres de ses dirigeants avec circonspection. C’est même à ça qu’on reconnaît les gouvernements conservateurs : ils s’évertuent à endormir la contestation en apauvrissant et en abêtissant les masses.

Les personnes à la tête de l’Europe, face à cette nouvelle crise, ne peuvent s’en prendre qu’à elles-mêmes. Elles récoltent ce qu’elles ont semé de par leur manque de clairvoyance et de tact. Suite à l’échec du TCE, il aurait fallu faire les choses dans la plus totale transparence, à savoir dissocier le texte en deux morceaux : un traité commercial, par essence très complexe, ratifié par les parlements, et une vraie constitution, claire et concise, écrite par une assemblée constituante élue par les peuples.

Ce second texte n’aurait contenu que les articles régissant le fontionnement des institutions, sans aucune coloration politique, et dans un langage compréhensible. Car rien n’est plus facile à caricaturer qu’un texte illisible. Eh oui. Mais manque de bol, tenir compte de cela aurait nécessité une sévère remise en question et énormément de travail de la part des écriveurs de lois, habitués à travailler avec les élites républicaines et les lobbyistes bien identifiés. Et l’ego des technocrates européen étant ce qu’il est, il ne fallait pas se faire d’illusions.

J’insiste sur le fait que, dans cette note, je ne m’intéresse pas au contenu du traité, car il s’agit du même que celui du TCE et que de toutes les façons, presque personne ne l’a lu. Mon but est simplement d’attirer l’attention de mes lecteurs sur le fait que, même si dans les jours à venir le peuple irlandais va se faire traiter d’égoïste, d’anti-européen, voire de xénophobe, les politiques ont largement leur part de responsabilité dans ce nouveau fiasco.

Mais vont-ils seulement l’admettre ? Personnellement, je me permets d’en douter. Nous verrons bien ce qui va se passer dans les mois à venir, mais pour moi le scénario est tout écrit. L’Irlande va se retrouver menacée d’être mise au banc de l’Union Européenne, peut-être même d’en être exclue, à moins de corriger le tir. Et pour arriver à ça, puisque la constitution de ce pays oblige tout traité européen à être ratifié par référendum, l’Irlande sera cordialement invitée à modifier sa constitution. Le TCE version 1.1 (milestone “Lisbonne”) pourra ainsi se qualifier pour la phase finale au prix d’une simple prolongation parlementaire. Game over.

Inutile de vous dire que les partis extrêmes ne se priveront pas une seconde de cette miraculeuse occasion de mettre en évidence le complot des élites au détriment du peuple… Et le gouvernement irlandais peut déjà se préparer à une belle raclée au prochaines élections. Qu’espèrent donc Nicolas Sarkozy et Angela Merkel en annonçant “Nous espérons que les autres Etats membres poursuivront le processus de ratification” à part mettre en colère un peuple en lui faisant comprendre que son avis n’a aucun intérêt ?

Bien sûr, le référendum est un outil politique à manier avec beaucoup de précautions, beaucoup de citoyens ayant tendance à comprendre à chaque fois la question “voulez-vous que le gouvernement actuel reste au pouvoir ?”. Mais quand on consulte le peuple et qu’on agit en dépit de la réponse obtenue tout en espérant qu’il n’en tiendra pas compte, il ne faut pas s’étonner que ça crée un malaise.

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