IV-11 (20/03/2005) : Copie or not copie ?
Le droit à la copie privée reviendrait-il en force ? La décision de la cour d’appel du 11 mars dernier pourrait le laisser croire. On la croyait pourtant moribonde sous les coups de boutoir incessants des producteurs de musique ne souhaitant ni ouvrir les yeux sur les nouvelles réalités des contenus multimédias et de l’internet, ni perdre leurs précieuses rentrées d’argent frais issu de la vente des disques.
Pour mémoire, en février 2003, Aurélien D., étudiant de l’Aveyron, était inculpé pour téléchargement illégal d’environ 500 films. La punition paraissait inévitable, tant il est vrai qu’il avait un joli troupeau à ses trousses : la Fédération Nationale des Distributeurs de Film, le Syndicat de l’Edition Vidéo, la 20th Century Fox, Buena Vista, Gaumont, Columbia, Tristar, Paramount, Universal Pictures, Warner Bros, Disney, Dreamworks, et la Metro Goldwyn Mayer. Contre toute attente, le tribunal de Rodez décida de le relaxer, considérant l’affaire comme relevant du droit à la copie privée. Encore sous le choc, la partie civile fit bien sûr appel, pour être à nouveau déboutée la semaine dernière.
Que s’est-il donc passé ? Les majors du film ont-elle moins de chance que celles de la musique ? Les juges du “petit” tribunal de Rodez ne se sont apparemment pas laissés impressionner par les avocats parisiens qui mettaient en avant que toutes les décisions leur avaient été favorables jusqu’ici. En effet, le Tribunal de Grande Instance de Pontoise a, le 2 février 2005, sanctionné la mise à disposition et le téléchargement, sans autorisation, en estimant que l’élément matériel de la contrefaçon était du ressort à la fois du téléchargement d’œuvres et de leur mise à disposition des internautes. Le TGI de Paris, dans un jugement du 30 avril 2004, est pour sa part allé jusqu’à écarter toute possibilité de copie privée pour les œuvres filmographiques commercialisées sur des supports numériques, en retenant que cette copie ne peut «que porter atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre».
Et pourtant, le principal argument retenu dans cette affaire est que l’accusé n’avait pas cherché à redistribuer ses acquisitions et les avait gravé sur des CD-ROM dont le prix incluait la fameuse redevance sur les contenus audio-vidéo. Et comme le texte sur la copie privé n’indique pas qu’il faille posséder l’original en même temps que la copie (faute de quoi une sauvegarde ne pourrait nous prémunir d’une perte ou d’un vol), nos lois d’application stricte – tout ce qui n’est pas explicitement interdit est autorisé – n’ont rien à lui reprocher. Et c’est ce même verdict que la Cour d’Appel de Montpellier a confirmé dans son arrêté.
Alors qui croire et qu’en conclure ? Qu’il devient urgent de définir clairement ce qui est licite et ce qui ne l’est pas, ainsi que de recadrer l’exception de la copie privée afin d’éviter le côté aléatoire des poursuites systématiques. Il ne s’agit pas d’être pour ou contre la copie privée, car cette tolérance est absolument fondamentale, mais son champ d’action a besoin d’être clarifié afin de protéger le créateur en même temps que le consommateur.
Gardons à l’esprit que cette dernière fut instaurée à une époque les échanges de cassettes n’allaient pas plus loin que la famille et les amis. Le postulat de “camaraderie” lié à la copie a volé en éclat avec l’apparition de l’internet et du P2P, les échanges étant anonymes. On peut remarquer que c’est sur la même ambiguïté que jouent les partisans du mariage homosexuel en France : lors de la rédaction du Code Napoléon en des temps où on ne pouvait même pas imaginer une telle chose, Cambacérès et les autres jurisconsultes pouvaient-ils prévoir que 200 ans plus tard un Noël Mamère allait célébrer un mariage entre deux hommes à Bègles ?
Compte tenu de l’agitation générale autour du sujet et du fait que la jurisprudence n’a qu’un pouvoir limité en France, comme l’illustre d’ailleurs cette récente décision, il est fort probable que les loi sur les droits d’auteur vont évoluer prochainement. Et la décision de la Cour de Cassation, immédiatement saisie dans cette affaire, n’y changera pas grand-chose. L’évolution légale la plus raisonnable serait probablement une distinction stricte entre téléchargement et partage : le premier serait dès lors toléré pour cause d’impossibilité de déterminer si le fichier partagé est un original, mais le deuxième serait sanctionné, ce qui limiterait d’autant les possibilités de téléchargement.
Cela dit, il apparaît désormais relativement illusoire de prétendre enrayer un phénomène aussi bien implanté et évolutif que le P2P, même au moyen d’une loi, ce que de nombreux auteurs ont déjà compris par eux-mêmes en tentant de promouvoir les nouveaux moyens d’acheter en ligne. Certaines associations et quelques artistes militent même pour une redevance liée à l’abonnement d’accès au net et tenant compte du droit à partager, ce qui semble plus proche du renoncement qu’autre chose.
Et bonjour chez vous !