III-10 (21/03/2004) : Entre ce qu’on dit et ce qu’on pense…
Cette chronique aurait pu s’intituler “Ce à quoi vous avez réchappé sans le savoir”. En effet, dans la nuit du 10 au 11 mars dernier s’est joué un vote dont l’issue aurait pu s’avérer pour le moins inquiétante pour les utilisateurs de l’outil informatique que nous sommes devenus. L’objectif était, pour le Parlement Européen, d’adapter et de préciser l’application des droits de la propriété intellectuelle et industrielle. En d’autres termes la lutte et la sanction contre la contrefaçon et le piratage, chacune se voyant nettement renforcée.
Au final, un vote sans trop de surprise : la loi a été adopté à une très large majorité. L’opinion des deux côtés de la balance (éditeurs d’un côté, défenseurs de la vie privée de l’autre), ce qui tend à indiquer que la loi n’est pas mauvaise. Mais elle a bien failli déraper… et sous l’influence de la France, qui plus est !
Plus précisément à cause de Janelly Fourtou, qui est, pour rappel, l’épouse de Jean-René Fourtou, lui-même président de Vivendi Universal, le plus gros éditeur du pays. Députée européenne et rapporteur du texte, elle se voulait rassurante quant au bien-fondé de cette loi, en affirmant notamment que seule le piratage commis à échelle commerciale est visé et que, je cite, “l’exception de la copie privée en sort renforcée”… tout en se gardant bien sûr de révéler qu’elle-même avait été plus qu’active pour essayer de faire passer une directive qui, elle, ne visait pas du tout les “grands” pirates, mais l’utilisateur de base. Je vous en livre un morceau particulièrement croustillant :
Lorsqu’il existe un risque démontrable de destruction des éléments de preuve, avant même l’engagement d’une action au fond, les Etats membres prévoient que les autorités judiciaires compétentes peuvent, en cas d’atteinte, réelle ou imminente, à un droit de propriété intellectuelle, autoriser en tout lieu, soit la description détaillée avec ou sans prélèvement d’échantillons, soit la saisie réelle des marchandises litigieuses ainsi que toutes preuves pertinentes relatives à l’atteinte alléguée. Ces preuves comprendront, dans les cas appropriés, les équipements et le matériel utilisés dans la production et/ou la distribution des marchandises litigeuses et tous les documents y afférents. Ces mesures sont prises par ordonnance sur requête et, le cas échéant, sans que l’autre partie soit entendue.
Une fois n’est pas coutume, le texte est étrangement limpide : en cas du moindre doute quant à l’honnêteté de son utilisation de documents protégés, l’utilisateur se voit exposé à une perquisition immédiate, un gel de ses comptes et une saisie de ses biens. Tout cela sous la seule demande de compagnies privées (les éditeurs, dont on connait déjà la grande sagesse), et sans avertissement ni possibilité de se défendre. Mentionnons également que le “risque démontrable de destruction des éléments de preuve” est toujours vrai dès qu’on parle d’informatique. A vous d’imaginer les applications possibles.
Heureusement, l’amendement a été, semble-t-il, ignoré par le Parlement Européen. Le lobbying ne gagne pas toujours. Cela dit, inutile de vous cacher que la France a désormais une image plus que douteuse sur les forums où on blâmait les DMCA américains (lois renforçant jusqu’à convergence extrême les copyrights et les brevets logiciels) lorsqu’ils furent votés.
Et bonjour chez vous !