IV-08 (30/01/2005) : David la plume contre Goliath la pomme
Avant de débuter à proprement parler l’épisode d’aujourd’hui, je vais me permettre de faire un petit écart en revenant au sujet du précédent, à savoir les brevets logiciels en Europe. Rassurez-vous, ça sera rapide. Car en l’espace de trois semaines, il s’est passé deux événements importants. D’une part, lundi 10 janvier, 61 députés du Parlement Européen ont appellé à une nouvelle première lecture de la directive sur les brevets logiciels. Ceci semble confirmer que le Parlement s’intéresse vivement au sujet tout en se méfiant des manoeuvres de la Commission.
D’autre part, le 21 janvier, figurez-vous qu’après l’échec de la tentative de passage-surprise en décembre dernier, les promoteurs des brevets ont rien trouvé de mieux à faire que de remettre le couvert, et de la même façon ! La seule différence avec la fois précédente est qu’ils s’y sont pris encore plus tard pour mettre le sujet à l’ordre du jour (le vendredi pour le lundi suivant), et encore plus discrètement (le site officiel de l’ordre du jour n’a pas reflété cette modification). Heureusement, la Pologne a une fois de plus sauvé la mise en demandant un report, comme il est autorisé pour tout “point A” annoncé moins de 15 jours avant son passage.
Je ne voudrais pas paraître alarmiste, mais jusqu’ici on ne peut pas dire que le légistlatif à la sauce européenne ait tendance à faire ressortir les bons côtés de la démocratie. Mais j’arrête là mes commentaires sur le sujet.
La chronique d’aujourd’hui va vous parler d’Apple. Oui, Apple, vous savez, le constructeur d’ordinateurs qui, ces temps-ci, réussit surtout à vendre des juke-box de poche et de la musique en ligne. Certains parmi vous auront sûrement entendu parler de son nouveau bébé, présenté il y a quelques semaines de cela, à savoir le Mac mini (le fameux “Mac pas cher” que beaucoup attendent depuis des années). Comme d’habitude, la société a essayé d’en cacher l’existence jusqu’à son annonce officielle, mais c’était sans compter sur les très nombreux maniaques cherchant à découvrir les plans d’Apple avant tout le monde et les révéler à tous les autres passionnés.
Et il y a un site de rumeurs qui est allé suffisamment loin pour mettre la pomme vraiment en colère. Alors que d’habitude, la publication de photos ou de données techniques en avance donne droit à un avertissement des avocats d’Apple demandant le retrait des éléments incriminés, Nick de Plume, alias Nicholas M. Ciarelli, étudiant de 19 ans et animateur du site de rumeurs ThinkSecret, s’est vu carrément attaqué en justice. Le chef d’accusation ? Violation de contrat de confidentialité (non-disclosure agreement).
De plus en plus fort : après les contrats aux closes cachées ou à double-sens, les américains inventent le contrat virtuel. En effet, comment peut-on prétendre défendre au tribunal un contrat que l’autre parti n’a ni lu ni signé ? Rassurons-nous donc, Apple n’a que peu de chances de gagner ce procès, d’autant plus que Nick a été contacté par plusieurs avocats bénévoles prêts à le défendre. De plus, il a la jurisprudence avec lui, car aux Etats-Unis, la publication d’une information confidentielle demeure protégée par le premier amendement de la constitution si celui qui la révèle n’est pas celui qui l’a subtilisée.
L’intérêt de l’histoire ne réside pas dans son résultat, mais dans ses causes. Car avec aussi peu de chances de gagner, et ce contre un étudiant désargenté, on peut se demander quelle mouche a piqué Apple. Et là, les possibilités sont multiples. On peut y voir une manoeuvre d’intimidation vis-à-vis de son personnel, dont les fuites alimentent copieusement rumeurs : “si vous continuez à révéler nos secrets, on utilisera la loi pour embêter ceux à qui vous aurez parlé”. Ceci rappellera peut-être à certains l’époque où la RIAA portait plainte à tout bout de champ contre des internautes ayant téléchargé illégalement de la musique, y compris un collégien de 12 ans. Un groupe de mécontents avait d’ailleurs caricaturé la campagne “chaque fois que vous téléchargez illégalement un MP3, un artiste est spolié, pensez aux artistes !” en remplaçant la fin par “la RIAA tue un chaton, pensez aux chatons !”
Une autre théorie est celle de la communication opportuniste et gratuite. En effet, certains n’ont pas manqué de remarquer que le Mac mini, contrairement au iPod Shuffle, l’autre star de la conférence, n’a bénéficié d’aucune campagne d’affichage ou de télévision. Et plusieurs revendeurs Apple avouent n’avoir été prévenus du lancement du bidule que quelques heures avant l’annonce officielle. De là à imaginer que le produit ait été lancé en avance pour profiter des rumeurs et de l’effet médiatique des poursuites…
Souhaitons tout de même bonne chance et surtout bon courage à Nick DePlume : nul doute qu’Apple, toujours incapable de maîtriser son syndrome de fuite informationnelle chronique, ne sera pas tendre avec lui.
Et bonjour chez vous !