Archive pour juin 2006

La fille imprudente qui valait 30 millions

mardi 20 juin 2006

The Inquirer nous fait part d’une histoire comme notre société moderne, et notamment le modèle américain, tend à les multiplier. Une jeune fille de 14 ans vient de porter plainte contre les créateurs de MySpace, le site de rencontre hyper-tendance pour les djeunz américains. Adepte du service, elle aurait été agressée sexuellement par un homme rencontré sur le site et réclame 30 millions de dollars de dommages et intérêts.

Son avocat, comme principal argument, prétend que MySpace ne fait rien d’efficace pour protéger les mineurs :

“MySpace is more concerned about making money than protecting children online”

(Hmm… et lui alors ?)

Signalons tout de même que la petite fille a accepté de donner son numéro de téléphone à son agresseur (on ne sait pas si elle a porté plainte contre lui, par ailleurs) et a priori ses parents l’ont laissée le rencontrer. L’agression s’est déroulé après qu’ils soient ensemble allés au cinéma et manger un morceau. Bref, le schéma classique d’une rencontre qui tourne mal, ce qui ne dépend donc pas de la façon dont elle a été rendue possible. Ou en tout cas pas d’une façon qui serait un tant soit peu prévisible. Car pour quelques cas, très médiatisées, d’agressions via l’internet, combien à la sortie du collège/lycée ou sur le chemin d’une boîte de nuit ?

Passons rapidement sur la nécessité d’apprendre aux enfants à se méfier des inconnus et les dissuader de donner leurs coordonnées personnelles facilement. Tout le monde est d’accord là-dessus, mais rares sont les parents qui accepteront l’idée, même face à l’évidence, qu’ils ont failli dans leur rôle d’éducateur si leur gamin le fait quand même. C’est humain, comme on dit.

De plus, prétendre être à même de vérifier la majorité de celui qui utilise un ordinateur relève encore à l’heure actuelle tient du fantasme pur et simple. Et quand bien même si on y arrivait, en suivant la logique de cette plainte, MySpace devrait empêcher toute personne susceptible d’agresser un mineur d’en contacter un. Imaginons donc un peu la même jeune fille en train de discuter avec son futur agresseur sur le même site en version ainsi “sécurisée” :

– lol, bon alor tu me file ton tel ?
– ok
– … (votre saisie ne respecte pas la charte de protection de ce site, votre interlocuteur ne l’a donc pas reçue)
– alors ?
– euh attends
– … (votre saisie ne respecte pas la charte de protection de ce site, votre interlocuteur ne l’a donc pas reçue)
– ba koi ?
– sa marche pô
– ta ka m’lenvoyé par MSN… c koi ton adresse ?
– … (votre saisie ne respecte pas la charte de protection de ce site, votre interlocuteur ne l’a donc pas reçue)
– tin mé c tro pourri ce site ! jvé en en utilisé 1 otre !
– ok tu me dira lequel ?
– oui bien sur

Prometteur, non ?

Après les procès contre MacDonald’s qui fait grossir, le tabac qui donne le cancer, les voitures qui incitent à dépasser les limitations de vitesse et tant d’autres affaires du même genre, le constat est accablant : un grand nombre de personnes sont prêtes à s’affirmer ouvertement comme irresponsables, voire complètement stupides, en revendiquant une dépendance vis-à-vis des vendeurs de biens ou de service. Mais après tout, tant que ça sera aussi – potentiellement – bien rétribué…

Pssst, petite, tu sais que tu pourrais également porter plainte contre ton opérateur téléphonique et réclamer 30 millions de plus ?

OpenOffice-Mac privé de WWDC

lundi 19 juin 2006

OpenOffice, la suite bureautique en open-source a beau se porter assez bien et faire son petit bout de chemin sous Windows après avoir conquis la communauté Linux, il reste une plate-forme sur laquelle elle est très boudée : Mac OS. Eric Bachard, qui participe activement au portage d’Open Office sur le système d’Apple, annonce aujourd’hui, avec force regrets, qu’il n’a pas pu collecter l’argent nécessaire pour aller représenter son activité à la WorldWide Developer Conference 2006, le salon qu’Apple organise pour les développeurs tous les ans au mois d’août.

La nouvelle commence à faire du bruit dans la communauté Mac, et oppose globalement (en caricaturant un tantinet) deux camps : d’un côté, les supporters d’OpenOffice qui accusent les utilisateurs de Mac de préférer Microsoft au logiciel libre et, de l’autre, les détracteurs de la suite bureautique libre qui accusent celle-ci d’être entachée d’un portage indigne du Macintosh. Eric Bachard n’a pas directement accusé les utilisateurs de Macintosh d’être des conservateurs à la botte de Billou, mais sa décision a bel et bien réveillé un malaise latent entre le Mac et le logiciel libre.

Si on regarde objectivement les choses, on constate en effet qu’OpenOffice sur Mac, ce n’est vraiment pas encore la panacée. A la base un logiciel Unix/Linux, la communauté du libre assure depuis longtemps un portage de (très) bonne facture pour Windows, qui rend la suite bureautique tout à fait crédible face à son rival made-in Microsoft. On télécharge le logiciel, on l’installe comme on le fait avec n’importe quel autre programme pour Windows, et OpenOffice fonctionne avec une interface conforme à ce qu’on peut voir d’habitude sur ce système.

L’utilisateur de Mac, lui, se voit gratifié d’une étape supplémentaire indispensable avant ou après l’installation du logiciel : l’installation de l’interface X11. Si le connaisseur du monde Linux sait de quoi il s’agit, l’utilisateur de base lui ne comprend pas cette nécessité, et encore moins le fait que cette étape ne soit pas incluse. Et une fois ceci fait, la déception est souvent de mise : OpenOffice se révèle lent au chargement et à la détente, y compris sur des modèles récents de Mac. Sans parler de l’interface qui ne respecte en rien les canons préconisés par Apple en matière d’interface homme-machine. Le Mac-user, habitué à des programmes à la réactivité optimisée et à l’aspect léché, ne se sent pas satisfait.

La question qui divise est donc la suivante : les utilisateurs de Mac ne respectent-ils pas assez les efforts fournis pour porter OpenOffice sur leur plate-forme ? On pourrait certes penser à priori qu’ils sont assez ingrats de se plaindre alors que ces efforts sont réels, surtout quand on voit le peu de volontaires face au travail énorme que cette activité suppose. Mais ce serait un peu vite oublier un élément très important : l’utilisateur de Mac, par son achat, est souvent, plus ou moins consciemment, une sorte de militant. En payant, généralement un peu plus cher, pour une machine qui s’utilise différemment d’un PC sous Windows ou Linux, il signifie son intention de pouvoir bénéficier de logiciels respectant son choix. Aussi, un programme lent et “moche” le conduira très probablement au mépris.

Imaginez-vous en train d’acheter une belle Mercedes et vous rendre compte que quand vous y mettez du carburant tel qu’on en trouve partout, elle devient poussive, moche et bruyante. Eh bien c’est un peu ce qui se passe dans la tête du Mac-user face à OpenOffice-Mac : à moins qu’il attache une importance toute particulière à utiliser du logiciel libre, cette suite bureautique constituera à ses yeux une attaque directe à son choix d’achat initial. D’où réaction logique : déception et rejet.

Et il ne faut pas trop compter sur l’argument de la gratuité du logiciel. La valeur ajoutée du Mac par rapport au PC tient en effet essentiellement à son système et sa logithèque qui lui est propre, ce qui dépasse la simple question du prix. La division Mac de Microsoft l’a d’ailleurs bien compris : depuis le passage à Mac OS X de Microsoft Offce, ses concepteurs font en sorte de respecter scrupuleusement les codes graphiques du Mac tout en intégrant des fonctions propres à la plate-forme, inédites dans les versions Windows.

Preuve en est que la communauté Mac elle aussi se trompe parfois de débat… Le logiciel libre a certes des arguments indéniables, il lui faut tout de même savoir à quel public il s’adresse. Le succès du Mac étant en grande partie celui de Mac OS, il faut arriver à comprendre le quasi-contrat que l’acheteur d’un Mac passe avec Apple : accepter une part d’anti-conformisme en échange de logiciels d’un certain niveau de performance et de cohérence dans l’interface.

10 ans de web : rétrospective par Celeri

lundi 12 juin 2006

Club-Sénat, Think Tank dédié aux nouvelles technologies, vient d’ouvrir un dossier consacré aux 10 ans de l’internet en France. Il ne s’agit pas d’un anniversaire officiel, mais d’un anniversaire pragmatique. C’est en effet en 1996 que les premières offres grand public d’accès au net ont fait leur apparition en France. L’association a fait appel à 10 experts en leur demandant quelles sont selon eux les 10 principales choses que l’internet a changé pour eux.

Je ne fais pas partie desdits experts (faut pas rêver), mais je consacrerai tout de même une note au même objectif. Car oui, cela fait 10 ans que j’utilise l’internet de façon personnelle. Ma toute première connexion date de février 1996, un jour où avec mon meilleur ami je mis les pieds dans un cyber-café sis à Grenoble. A l’époque, la quantité de sites internet était négligeable comparé à celle d’aujourd’hui, mais on trouvait tout de même quelques sites créés par des amateurs (très majoritairement américains), référencés par quelques rares moteurs de recherche, le plus puissant d’entre eux à l’époque étant AltaVista, créé par la société Digital. Et Yahoo n’était qu’un portail, c’est-à-dire un site qui référençait un certain nombre d’autres sites, et non un moteur de recherche.

Ce premier pied sur la toile mondiale ne fut pourtant pas ma toute première connexion à un système informatique distant. J’avais déjà éprouvé le service télématique CompuServe (devenu depuis un simple fournisseur d’accès au net) ainsi que son extension graphiques aux avatars animés “WorldsAway”). CompuServe avait comme particularité de lier entre eux de nombreux sites thématiques mais aux rubriques normalisées : espaces de téléchargement, d’aide, de news, de forum, de tchat… pour une centaine de francs mensuels et le prix des communications locales (remboursées à 65% entre 22h et 6h), on avait ainsi accès à beaucoup de choses. Avant CompuServe, je m’étais également essayé à des serveurs dits “BBS”, basés sur des interfaces comme FirstClass ou CalvaCom (auxquels on pouvait se connecter en reliant son ordinateur à un minitel si on n’avait pas de modem… tout une époque !). Les souvenirs sont plus flous, mais je dirais que ces premières connexions datent de 1992. Et très vite, les factures de téléphone infligées à mes parents se sont avérées salées.

J’ai eu la chance de bénéficier d’un abonnement d’accès à l’internet quelques mois après ma visite au cyber-café. Via un tout jeune fournisseur d’accès nommé Alpes-Networks. Je me rappellerai longtemps de la phase d’installation, qui n’avait rien à voir avec la façon dont ça se passe aujourd’hui. Physiquement, tout le monde était éligible, puisqu’il suffisait d’avoir une ligne téléphonique. Le problème ne venait donc pas, comme avec l’ADSL, de longueur d’ouverture de ligne. La vraie difficulté était l’installation logicielle. En ces temps, mon domicile comptait (déjà !) deux micro-ordinateurs : un Macintosh (modèle 7100 de la première série “PowerPC) et un PC (Pentium 133), chacun disposant d’un modem sachant exploiter une vitesse respective de 9600 et 14400 bits par seconde. On disposait donc de débits entre 30 et 50 fois plus faibles qu’un accès ADSL de base d’aujourd’hui, mais la gêne n’était pas proportionnelle, les données à transférer étant beaucoup moins nombreuses.

Sur le Mac, installer l’accès au net était moyennement compliqué : on copiait quelques fichiers dans le dossier système, on redémarrait, on saisissait quelques champs de texte pour paramétrer le script de connexion PPP, et c’était bon. Sur PC, il fallait installer le protocole TCP/IP qui se trouvait au fin fond du CD de Windows 95, redémarrer et saisir les paramètres IP dans une fenêtre de dialogue. La gestion du script de connexion n’était pas possible (ou du moins je n’y étais pas arrivé) et donc il fallait saisir ses identifiants à chaque connexion dans une fenêtre de terminal.

Le kit de connexion livré par Alpes-Networks installait le navigateur Mosaic, le pionnier du WWW, mais la première étape une fois connecté consistait invariablement à aller télécharger Netscape Navigator, alors déjà en version 2.0. On pouvait dès lors accéder à des sites gérant des technologies très avancées comme les frames, le JavaScript ou les cookies. Je me souviens du tout premier site commercial officiel que j’ai visité (et croyez-le ou non, les “.com” étaient VRAIMENT rares), il s’agissait de www.7up.com. Ce n’était pas que je fûsse particulièrement fan de cette boisson, mais ce site s’était donné un rôle de vitrine technologique. Par la suite, c’est un des premiers à exploiter la technologie Flash, en fin 1997.

Voilà pour les quelques souvenirs qui me viennent en premier lieu quand je repense à cette période de naissance de l’internet en France. Je connais assez peu de personnes qui ont pu être témoin des mêmes choses dans mon entourage direct, ce qui rend le sujet intéressant à raconter. Une hypothétique prochaine note tentera de dresser ma rétrospective à proprement parler, à savoir ce qui m’a marqué au fil des ans.