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PMA pour toutes, patriarcat pour tous

vendredi 27 septembre 2019

L’Assemblée Nationale vient de voter la loi de la révision des lois bioéthiques ouvrant l’accès aux techniques d’assistance médicale à la procréation aux couples de femmes et aux femmes seules. Moyennant validation prochaine par le Sénat, les techniques d’aides à la procréation seront ainsi accessibles à toutes les femmes – et elles seules -, sans aucun critère de sélection ou de priorité relatifs à leur état de santé, de fertilité ou de ressources, et ce dans les mêmes conditions d’âge et de prise en charge qu’actuellement pour les couples hétérosexuels jusqu’à présent.

En l’état de la science et des techniques mises en oeuvre dans ce domaine, il est un élément essentiel mais qu’on souligne étrangement assez peu : dans tout le processus de procréation, la seule étape nécessitant l’intervention d’un humain mâle est la fourniture des spermatozoïdes. Toutes les autres actions peuvent se réaliser par des femmes ou des machines. A contrario, si la PMA permet de procéder à une fécondation entre deux gamètes en-dehors de tout corps humain, les différentes étapes de la grossesse (implantation dans l’utérus, croissance et accouchement) sont pour leur part absolument tributaires d’un organe nécessitant un corps de femme vivant et fonctionnel.

La science ne sait pas encore produire les spermatozoïdes à la demande, mais il n’est pas déraisonnable de penser que cela soit le cas à court ou moyen terme. En effet, un spermatozoïde n’est jamais qu’une cellule différenciée porteuse d’ADN, tout le reste (à commencer par ses attributs de mouvement) est accessoire puisqu’on est déjà capable de l’injecter directement dans un ovocyte. On peut donc globalement assimiler le rôle d’un individu mâle à l’apport d’une information génétique sous forme chimique. Voilà pour notre postulat de départ.

Le génome humain est d’ores et déjà séquencé depuis plusieurs années. Les problématiques d’aujourd’hui ne sont plus de savoir collecter, décoder, comprendre ou stocker le patrimoine génétique d’êtres humains, mais plutôt des problèmes relatifs à l’exploitation de ces informations ô combien personnelles. De même, la fabrication de cellules différenciées à partir de cellules-souches, fait des progrès significatifs chaque année. Lorsque ces deux activités biologiques sauront fonctionner ensemble, nul doute que la fabrication de gamètes mâles fonctionnels en grand nombre deviendra possible. Il ne semble guère risqué de parier sur le fait que gros que de nombreux laboratoires font déjà des recherches en ce sens, très probablement appâtés par les gains prévisibles à la clé (un exemple ici).

La problématique est donc ici : une fois que des spermatozoïdes “implantables” pourront être produits, quelle en sera la conséquence immédiatement prévisible ? Tout simplement la fin de la pénurie de gamètes, et par voie de conséquence, l’inutilité du processus de don. Et donc oui, la non-nécessité pure et simple du sexe mâle dans la procréation humaine. Ceci aura certainement des impacts sociaux très forts, et nous allons en dresser un tableau ci-après.

En premier lieu, posons-nous une question toute simple : une fois acquise la capacité d’obtenir des gamètes de manière rapide, simple et peu chère, quel sera encore l’intérêt des femmes à enfanter de manière naturelle ? Cette question ne se pose évidemment pas pour les femmes homosexuelles, car leur orientation ne les porte de toute façon pas vers ce schéma. Non, ce qui nous intéresse ici, ce sont les femmes hétérosexuelles, qu’elles soient seules ou même en couple.

Les premières, célibataires par choix ou subies, libérées des “listes d’attente” liées à la fourniture des gamètes prêtes à féconder, n’hésiteront fort logiquement plus à faire une demande de PMA plutôt que d’attendre de trouver un partenaire au moment où leur désir d’enfant se manifestera. En effet, je rappelle que le gouvernement a annoncé qu’il veillerait à ce que le processus de sélection des dossiers soit totalement non-discriminant et intégralement pris en charge par la sécurité socciale. Dès lors, pourquoi attendre d’être en couple – et que le partenaire soit d’accord, par-dessus le marché ? Après tout, chaque année qui passe au-delà de 25 ans ne fait qu’abaisser les chances de succès, donc l’indécision d’un homme devient vite un obstacle.

Plus intéressant : le cas des femmes en couple hétérosexuel, autrement dit les femmes qui ont ce qu’il faut pour procéder à une reproduction naturelle. Mettons de côté les couples stériles : l’accès à la PMA leur est acquis depuis longtemps. Mais pour une femme fertile, en couple avec un homme donc, que deviendra son horizon de pensée vis-à-vis de l’enfantement devant les deux options qui s’offriront à elle, à savoir un projet à mener à deux pendant au moins vingt ans, avec tous les aléas et désaccords de la vie de couple que cela suppose, et un projet personnel, certes plus exigeant mais bien plus maîtrisé ?

Cette question est la clé de voûte de tous les changements à venir. Voici un petit rappel de quelques tendances contemporaines significatives de la manière dont les hommes et femmes s’engagent et dont nous avons tous déjà plus ou moins connaissance. D’une manière générale, en France :
– la durée de vie des couples diminue de façon constante (et plus rapidement dans les grandes villes) ;
– les femmes sont d’une manière générale plus promptes à souhaiter un enfant que leur compagnon (le fameux “calendrier biologique” est une réalité) ;
– la naissance du premier enfant, autrefois fédérateur, devient une menace pour les couples (effet “baby clash” ou “tsunami du couple”) ;
– les séparations de couples sont le plus souvent à l’initiative des femmes.

Je précise que développer les causes de ces faits n’est pas l’objet de cet essai : c’est leur existence, et même leur prise en compte dans notre esprit qui m’intéresse ici.

Une fois ces éléments pris en compte, que peut-on logiquement imaginer dans un contexte où une PMA, en plus d’être entièrement libre et gratuite, pourrait être réalisée très rapidement ? Relisez les tendances mentionnées au paragraphe précédent : avec une PMA “facile”, quels seraient encore les avantages à privilégier la voie naturelle ? L’amour et le fait de mener un projet à deux, évidemment, avec le partage des ressources et le soutien des moments agréables ou difficiles que cela inclut, soit, mais quoi d’autre ?

Maintenant évaluons les avantages pour une femme de “faire un enfant toute seule” alors qu’elle est en couple. Premièrement, la décision de le faire n’appartient qu’à elle – son compagnon n’aura ni à être convaincu d’apporter sa contribution au projet, ni à reconnaître l’enfant, et d’une manière générale n’aura rien à en redire. Deuxièmement, elle sera seule décisionnaire pour tous les choix essentiels pour le développement de l’enfant : habitat, mode de vie, éducation, alimentation, loisirs, etc. Pas de débat, pas de discorde, pas de dispute… Troisièmement, en cas de séparation avec son compagnon du moment (et a fortiori les suivants), elle n’aura pas besoin de passer par la case judiciaire pour obtenir la garde de l’enfant, car de facto acquise. Pas besoin non plus de composer avec un père “historique” pouvant gêner la relation du moment avec un autre partenaire, ni avec les beaux-parents. Et quatrièmement, en matière de succession : la filiation étant unique et totale, aucun problème de partage des biens et des ressources.

Bien sûr, il y aura toujours des femmes souhaitant faire d’un enfant un “projet à deux” – et c’est heureux. Mais notre monde étant ce qu’il est, les constructions sociales tendent globalement à favoriser l’individualisme, et l’idée même d’un “droit à l’enfant” qui fait surface en est un symbole évident. Soyons honnêtes : si l’on décide aujourd’hui d’ouvrir l’accès à la PMA aux femmes seules, n’est-ce pas précisément sous la pression d’une demande personnelle en forte augmentation ?

Il y a donc fort à parier que si la PMA devient “facile”, de plus en plus de femmes y auront recours, qu’elles soient en couple ou non. En effet, même lorsqu’on est déjà en couple, pourquoi s’embarrasser d’un père lorsque la relation a comme plus grande probabilité de prendre fin avant que l’enfant ne quitte le foyer, et ainsi devoir gérer une garde partagée ?

Ne nous voilons pas la face : cette PMA ouverte à toutes les femmes sera le catalyseur d’une tendance qui ne demande aujourd’hui qu’à se banaliser, à savoir celle d’écarter les individus mâles de la procréation. Quelles en sont les origines et les causes ? Il y en a sûrement plusieurs, mais on peut considérer sans risque que cela s’inscrit dans le mouvement général d’émancipation des femmes débuté au siècle dernier, et qui a vu notamment leur octroyer le droit de d’éviter des grossesses et d’y mettre fin. Ultime épisode, donc : la synthèse de gamètes en laboratoire et mis sur un marché qui s’annonce explosif.

Je ne jette pas la pierre aux femmes, notez bien. Quand on y réfléchit, leur souhait est finalement assez logique. La grossesse les touche beaucoup plus directement que les hommes, c’est un fait. Et après tout, comment leur reprocher de faire aux hommes ce qu’eux-mêmes ont fait aux femmes depuis des milliers d’années, et dans tous les domaines de la société ?

Plus grave que ces causes, à mon sens : les conséquences à long terme de cette obstination à écarter les hommes de la reproduction. Comment donc ceux-ci vont-ils réagir à cette exclusion ? Certes, on a beau jeu de dire que les hommes sont moins responsables vis-à-vis de leur progéniture que les femmes, ce qui en effet se vérifie certes parfois, mais peut-on réellement généraliser ? Et surtout, les choix actuels est-il une bonne méthode pour les encourager à s’investir ?

Posez-vous la question : comment imaginer faire comprendre aux hommes sortant de l’adolescence qu’ils vont devenir facultatifs dans la reproduction humaine tout en espérant sérieusement qu’ils s’investissent réellement dans la responsabilité parentale ? N’y a-t-il pas un énorme paradoxe entre fustiger le manque d’implication des pères dans la famille et le projet d’écarter les hommes d’une étape symboliquement – et biologiquement – fondamentale de sa construction ?

Parallèlement, que penser des impacts à long terme chez les enfants ? Outre le fait que de plus en plus d’entre eux seront nés sans père et bercés dans l’idée que c’est “tout à fait normal”, il y a fort à parier que la place accordée à la reproduction naturelle dans leur éducation sera plus que réduite. Autant dire que la perte de repères des hommes évoquée juste avant sera dès lors gravée dans le marbre dès leur plus jeune âge, quand bien même on sait depuis longtemps que les enfants éprouvent un nécessaire (et légitime) besoin de connaître leurs origines. Que leur restera-t-il devant si peu de choses à associer à leur naissance, mis à part qu’une femme en aura émis le souhait, et que la médecine a répondu présent ?

Enfin, quelles conséquences voit-on venir in fine pour les femmes ? Une fois que les hommes et les enfants auront bien intégré qu’un père est, sinon inutile, tout du moins accessoire, un résultat me paraît inévitable à moyen/long terme. De la même façon que, par esprit de gestion autonome et efficace, de plus en plus de femmes s’approprieront le processus du don de la vie, de plus en plus d’hommes réagiront en se déchargeant de tout ce que ce processus implique : grossesse et naissance bien sûr, mais aussi hébergement, garde, nourriture, loisirs, éducation, études… Autrement dit, faciliter l’accès à la PMA de convenance reviendra à favoriser le retour du patriarcat dans une forme large et difficile à repousser, car cette fois-ci épaulé scientifiquement par la bioéthique, et économiquement par la sécurité sociale.

Voyez l’ironie de la situation : la plupart des associations féministes louent cette ouverture des techniques de PMA à toutes les femmes comme une suite logique de la quête de libération des femmes, mais sans se rendre compte qu’au bout du chemin, une PMA banalisée les dépossèdera des avancées récentes en matière d’équilibrage des responsabilités et des devoirs en matière de famille. L’émancipation va de pair avec la responsabilisation, et les plus conservateurs ne manqueront pas de le rappeler le moment venu : “tu as voulu cet enfant, tu l’assumes !”

Alors bien sûr, comme je l’ai mentionné, certains diront que je m’inquiète pour rien. Que les femmes hétérosexuelles ne changeront pas leur manière d’envisager la reproduction. Que les hommes y verront toujours une place pour eux. Et que la “PMA pour toutes” ne sera jamais utilisée dans un état d’esprit d’émancipation féminine… Nous verrons bien. Il semble bien en effet qu’aujourd’hui encore, la plupart des femmes voient l’enfant comme un “projet à deux”. Mais gardez à l’esprit que jusqu’ici, la PMA n’avait qu’une vocation médicale, ce qui bridait naturellement les aspirations. De nos jours, la technologie crée bien plus souvent les usages que l’inverse.

L’assistance médicale à la procréation dans des circonstances où cette dernière serait normalement impossible est une bonne chose, car elle aide à rétablir un équilibre naturel entre couples chanceux et malchanceux. L’étendre aux couples de femmes n’est pas une mauvaise chose en soi, si on s’assure que la responsabilité des deux personnes concernées, à défaut d’être biologiquement indiscutable, est du même ordre que celle d’un couple classique (si on met de côté le fait que, les hommes en étant privés, cela les écarte encore un peu plus de la reproduction).

Mais pour ce qui est de l’extension aux femmes seules, déjà par nature très discutable biologiquement parlant, il m’apparaît clairement que l’idée va beaucoup trop loin. Et contrairement aux débats publics, je ne parle pas que des conséquences sur les enfants. LA PMA ouvertes à toutes les femmes revient à sciemment faire comprendre à la moitié de la population que son rôle dans la reproduction n’est plus significatif, tout en posant les bases d’une multiplication des familles monoparentales parfois juridiquement inextricables et souvent économiquement précaires – et ce alors même que les organisations sociales rappellent régulièrement combien cette situation pose de difficultés au quotidien.

Une seule chose pourra, encore un temps, freiner cela : les listes d’attente de gamètes. Réalité désagréable pour les femmes en attente, elles deviennent aujourd’hui l’ultime garde-fou que la société va très vite chercher à faire tomber. Une fois ceci fait, il sera trop tard et les générations futures en paieront le prix et à tous les niveaux.

Premièrement, parce que nous allons engendrer une quantité d’enfants en difficulté, ne comprenant pas pourquoi toute l’histoire de leur conception se résumera à “ta mère en avait envie”. Tous les pédopsychiatres le disent depuis longtemps : l’enfant a besoin de connaître ses racines… alors pourquoi lui en retirer pour la satisfaction d’un seul adulte, comme si cette dernière était naturellement supérieure aux droits de l’enfant ? La seule vraie réponse à cela était de totalement lever l’anonymat des donneurs, mais il semble bien que le projet ait été assoupli de peur de faire fuir ces derniers, ce qui en dit long sur les la priorité accordée à la circulation des gamètes plutôt qu’aux individus prochainement engendrées par celle-ci. De là à penser qu’il s’agit de préparer le terrain à des spermatozoïdes sans donneur, il n’y a qu’un pas.

Deuxièmement, de plus en plus tenus à l’écart de la reproduction humaine, les hommes se scinderont naturellement en deux groupes : les uns, malheureux, qui aimeraient assumer un rôle de parent mais se sentant exclus de cette possibilité, et les autres, bienheureux, impatients de pouvoir définitivement ré-associer féminité et prise en charge des enfants. Et cette fois-ci, avec la bénédiction de la science, de la bioéthique et de la sécurité sociale réunies, quels seront les arguments objectifs pour y répondre ?

D’où troisièmement : les femmes, si elles seront probablement satisfaites d’avoir obtenu un droit supplémentaire (et, quoi qu’on en dise, discriminatoire) répondant à un souhait intime et compréhensible, subiront de plein fouet le retour implacable d’un patriarcat revanchard et lourdement armé, jubilant probablement déjà de pouvoir rabaisser la femme à son rôle de mère, et bien décidé à ne plus se laisser déborder.

Toute personne aujourd’hui en accord avec les avancées réalisées en termes d’émancipation féminine devrait réellement réfléchir aux conséquences prévisibles de cette ouverture de droits qui nuira à l’intérêt général pour la satisfaction individuelle de quelques-unes. Tel un boomerang vengeur et cynique, une nouvelle domination masculine aura tout loisir de se mettre en place, s’appuyant tant sur la précarisation de ces femmes en désir urgent d’enfant que sur le poids des responsabilités parentales qu’elles accepteront ainsi tacitement de porter sur leurs seules épaules.