Plus fort que le DVD : le papier ?
lundi 27 novembre 2006Quand on voit des nouvelles parfaitement fantaisistes se répandre sur le net avec aussi peu d’esprit critique, on peut se sentir amusé, irrité ou désabusé, selon les cas et les circonstances. Mais cette fois-ci, j’ai surtout envie de remettre un peu les choses à leur place.
Dernier spécimen en date : le retour du stockage sur papier. Tout est parti d’un article publié dans Arab News faisant mention d’un brave étudiant de l’université musulmane de Kerala, Sainul Abideen, qui aurait inventé un moyen de stocker 450 giga-octets sur une simple feuille de papier. Transformé en galette de la taille d’un CD, on obtiendrait alors un “Rainbow Versatile Disk” (RVD), moins coûteux et plus respectueux de l’environnement qu’un CD ou qu’un DVD. Wow !
Alors, back to the trees les geeks ? Pas vraiment. Comme on pouvait s’y attendre, la réalité est toute autre et il suffit de peu de chose pour tailler des croupières à ce qui nous est raconté avec ce si charmant style journalo-technocrate anglo-saxon.
Prenez un DVD basique, contenant 4.7 Go de données. Sa surface gravable représentant environ 94 cm², on en déduit que sa densité avoisine les 51 Mo/cm². Un octet couvre donc une surface approximative de 2 µm². Or, les meilleurs scanners optiques d’aujourd’hui n’ont une résolution native que de 1200 points par pouce, soit 474 points par centimètre. En surface, ça donne une résolution de 224376 points par cm². Un point couvre dès lors une surface de 445 µm². Boum.
Pour ceux qui préfèrent les volumes de données, si chaque point code pour une sur 16 millions de nuances, soit trois octets par point (un respectivement pour le bleu, le vert, et le rouge), on obtient dès lors 224376 p/cm² x 94 cm² x 3 o/p = 60,3 méga-octets sur une surface équivalente à celle d’un CD. En ajoutant des codes de correction d’erreurs identiques, on tombe alors en-dessous de 58 Mo. Ouille.
Ces calculs sont bien évidemment faits en envisageant les conditions idéales, à savoir qu’on soit réellement capable de discerner 16 millions de couleurs sur chaque point, en dépit des incertitudes liées à l’alignement des points, les imperfections et le vieillissement du support, la calibration des couleurs, la prise en compte des conditions de luminosité ambiante, etc. Rappelons que la fabrication d’un CD ou d’un DVD résulte de plusieurs procédés d’usinage très complexes visant à obtenir une couche de substrat parfaitement uniforme, protégée par une épaisse couche de plastique.
Quant à l’idée de ne pas se contenter de points mais de figures géométriques, je demande à voir… comment les figures seront-elles dessinées sinon avec des points ? Avec une aiguille d’une finesse de 22 µm ? Et le capteur optique, il saura capter autre chose que des points ? Par ailleurs, l’idée de coder “spatialement” des données n’est pas nouvelle : les techniques qu’on appelle “compression de données” (comme dans un fichier ZIP, par exemple) en sont déjà largement inspirées, avec les taux d’efficacité qu’on connait : limités dans le cas de compression non-destructive.
Pouf, pouf.
Non, sérieusement, ils ont l’air d’avoir de sacrés baratineurs (plaisantins ?) à l’université de Kerala ! Je sais bien qu’avec le succès de l’internet 2.0 (bulle 2.0 pour les intimes), les investisseurs ont tendance à retomber dans leur travers de gogo dès qu’on parle d’une invention technologique, mais il ne faut tout de même pas exagérer.
Sainul, si tu me lis, dépêche-toi de démentir ta paternité du projet. Et promets-moi de ne plus suivre l’UV “science fiction” comme on suit un cours magistral de technologie.
[MàJ] Ca y est, trois jours plus tard, la presse commence enfin à sortir la tête des nuages.