Réminiscences conceptionnelles (RHUA – fin)
mercredi 26 décembre 2007Et voilà, nous en arrivons au dernier épisode de cette petite petite chronique retraçant les principales étapes des projets frères RHUA 1&2. Dans quelques instants, vous saurez enfin tout sur cette sympathique saga qui constitue un des efforts de création les plus intenses et stimulants de ma vie en tant qu’humain d’un naturel, je dois le reconnaître, assez peu créatif. Ceux qui ont bien tout suivi jusqu’ici savent que nous en étions restés au début du mois d’avril 2004, lorsque je pensais tenir en main une version quasi-finale du contenu de RHUA2. Par “quasi-finale du contenu”, j’entends que la partie audio ne devait plus subir que des modifications mineures comme des corrections de mixage ou des améliorations d’effets. Mais hors de question de modifier le choix ou l’ordre des 79 morceaux (40 par disque, dont le premier est commun). Et pourtant…
Eh bien, je n’ai pas pu résister. Car si, durant les semaines qui ont suivi, j’ai bel et bien consacré du temps et de l’énergie à apporter des modifications légères au rendu final, il y a malgré tout eu quelques thèmes qui ont changé. Deux, pour être précis. Et dans les deux cas, ç’a été la découverte d’un nouveau morceau qui m’a poussé à faire une changement aussi lourd. Vous pouvez me croire, une telle décision n’est pas facile à prendre. Toutes proportions gardées naturellement, je pense que beaucoup d’artistes doivent éprouver cette douleur qui se manifeste lorsqu’on a subitement une idée pour améliorer une oeuvre qu’on considère comme déjà achevée. Et lorsqu’on cède à cette tentation, on le ressent comme un aveu de faiblesse difficile à assumer, et ce même si cette nouvelle idée semble très bonne. Qui plus est, ça inspire le doute quant à la capacité qu’on a de réellement clore un projet, et ce n’est pas réconfortant.
Bref, entre début avril et fin juillet 2004, au milieu de divers perfectionnements, deux thèmes changèrent, et ce fut dans un certain tiraillement de douleur. Au soir du 31 juillet, je décidai ENFIN de déclarer le projet RHUA2 terminé pour ce qui était du fond. Ouf ! Mais pour en faire quelque chose d’abouti, il allait falloir maintenant s’attaquer au design, c’est à dire trouver des titres pour les thèmes habiller le tout avec de jolies images. Et c’est alors qu’une véritable guerre des tranchées commença…
Ah, le design de RHUA2, c’est vraiment toute une histoire. Déjà, concernant les titres, ce fut très laborieux. En effet, l’album étant composé de thèmes allant par paires, fallait-il les réunir avec un seul titre ou, au contraire, les différencier ? Rien que mon indécision sur cette question-ci a provoqué un nombre difficile à évaluer de “bon, on efface tout et on recommence”. Ajoutez à cela que les efforts demandés par la partie sonore m’avaient pas mal “vidé” intérieurement, de telle sorte que j’en redoutais de me replonger dans mon petit univers. J’avais toujours les idées claires en écoutant les musiques, mais dès que je cherchais à leur donner un nom, leur sens semblaient m’échapper… Vexant.
Mais ce n’est pas tout, loin s’en faut. Pour l’emballage graphique, ce fut pire encore, dans la mesure où je n’arrivais pas à me sentir capable de dépasser ce que j’avais déjà fait pour RHUA1. J’avais déjà une certaine expérience en retouche et en édition bitmap, et j’avais appris un peu à manier Photoshop, mais je sentais l’inspiration se moquer ouvertement de moi. Je souhaitais faire mieux que les images simplistes du premier épisode, mais je ne savais pas du tout par quoi commencer. Je me souviens avoir essayé quelques petites choses, mais leur banalité m’a semblé à chaque fois plus affligeante et j’ai assez vite repoussé cet objectif aux calendes grecques, lesquelles j’euphémisais alors par “quand j’aurai trouvé les titres”.
Je ne croyais pas si bien dire en prévoyant que mettre au point le design de RHUA2 allait demander du temps. En pratique, il m’aura demandé… 3 ans et demi. Car oui, vous l’aviez probablement déjà deviné, mais si je me suis mis à raconter ces histoires qui ne regardent (presque) que moi, c’est bel et bien parce que le projet RHUA2 vient d’être bouclé tout récemment. Il y a de cela un peu plus de deux semaines, en fait. Et que j’en suis ma foi assez content. Est-ce le fruit d’un travail permanent ? Honnêtement non, et heureusement, sinon il y aurait de quoi désespérer ! Mais on peut en revanche dire que ce fut un cycle perpétuel alternant les “bon, je m’y remets” et les “zut, tant pis, on verra plus tard”. Cruelle procrastination alimentée par un manque d’idées… mais aussi de réelle volonté.
La volonté défaillante : voilà l’autre réelle cause de mon incapacité à tout mettre en oeuvre pour achever ce projet. RHUA1 avait reçu un accueil très favorable et avait permis à plusieurs personnes de (re)découvrir la musique de jeux vidéo sous un jour nouveau et divertissant, c’est indéniable. Mais j’ai bien été obligé de reconnaître que le message créatif que j’avais voulu insuffler dedans n’a pas vraiment dépassé les limites de ma propre perception. Pour être plus clair, mon scénario avec son intrigue, ses lieux et ses personnages, n’étaient pas bien retranscrits dedans. Devant cet échec, je me suis assez vite dit que j’avais cherché l’impossible. C’est en prenant conscience de cela que j’ai fini par arrêter de diffuser activement RHUA1 et que je me préparais inconsciemment à ne jamais le faire pour RHUA2.
J’ai consacré infiniment plus d’énergie et de ma personne dans ce second volet, mais la crainte de connaître à nouveau l’échec a tout fait pour me dissuader de parler de lui autour de moi. Aussi fièrement que j’ai exhibé RHUA1, j’ai piteusement caché l’existence de son successeur, alors qu’au fond, j’aurais voulu faire connaître. Hélas, une partie de moi, ce fantôme qui existe au plus profond de mon âme depuis mon adolescence et qui cherche continuellement à ronger toute confiance que je pourrais avoir en moi-même, en avait décidé autrement. Ce syndrôme, que j’appelle parfois celui de “l’inversé du ciboulot” (en référence à un manga dont je me suis identifié au héros il fut un temps), est certainement ce qui a le plus favorisé mes hésitations à définitivement valider mon choix de morceaux (un morceau changé pour chacun des deux CD… comme par hasard). C’est également lui qui, par la suite, a fait vaciller mon inspiration pour trouver des titres et annihilé ma motivation à réaliser le livret. Sa logique était simple et diablement efficace : cet album, sans une jaquette décente, ne pouvait rester que confidentiel. Eh oui. Pour gagner une bataille, visez en priorité le chef… et le porte-étendard.
Confidentiel, il l’est effectivement resté, pendant ces trois trois ans et demi. Jusqu’à cette fin 2007 où, pour des raisons que mes plus fidèles lecteurs ont entr’aperçu récemment dans cette rubrique “Moi je”, cet indécrottable démon intérieur, qui devait jusqu’à présent se contenter de petits os à ronger car je menais une vie ma foi plutôt agréable et tranquille, a fini par trouver beaucoup de grain à moudre ces derniers mois. Et d’un coup, pour inspirer la peur de l’avenir et de soi-même, il s’est retrouvé avec de bien meilleurs outils que l’étouffement d’un pauvre petit projet créatif personnel et a donc laissé RHUA2 tranquille. C’est ainsi que, dans un océan de doutes et de temps libre, j’ai fini par voir en ce projet, que je croyais depuis longtemps condamné à ne jamais véritablement voir le jour, une sorte de petite île où je pourrais me reposer et soigner mon âme en errance.
Le petit texte anglophone que j’ai publié ici-même il y a presque un mois a agi comme un appel de cette île. Peut-être un peu comme le héros de RHUA1, pourrait-on penser… Cette pensée me fait sourire. Toujours est-il qu’une fois cette île atteinte, j’ai réussi à y trouver la motivation nécessaire pour faire en quelques jours ce dont j’avais été incapable pendant plus de 40 mois. Oh, ça n’a pas été simple, et j’ai dû recourir à de longues séances de réécoute intensive ainsi que de nombreuses balades en ville ou en forêt pour atteindre mon but… mais mes doutes avaient disparu, je savais où j’allais. Mon ciel, certes toujours plombé de nuages gris plus ou moins sombres, comportait désormais un petit trou de ciel bleu d’où filtraient quelques rayons de soleil venus illuminer mon île.
Fort de cette inspiration inespérée, “RHUA II ~ Forever Twinned Destinies” naquit le 9 décembre dernier sous la forme de deux disques fraîchement gravés et de cinq feuilles imprimées, que je me dépéchai de découper et d’assembler fébrilement. L’instant final où tout se mit en place fut presque magique. Quelques heures plus tard, pour fêter ça, j’en présentai un teaser dans ma note concernant RHUA1, publiée dans la soirée.
Voilà. Presque quatre ans pour l’ensemble, c’est sans doute ce qu’on peut qualifier de gestation longue et difficile pour un projet personnel, lequel a cependant fini par obtenir la conclusion qu’il méritait. Ce n’est certes pas une énorme victoire compte tenu de la taille et de la puissance de l’ennemi toujours dressé devant moi, mais c’est définitivement, je le crois, un pas dans la bonne direction.
Il suffit. Voici maintenant ce que vous attendez impatiemment depuis des semaines (ah, qu’il est doux de rêver…) :
Pour rappel, la version finale RHUA est née à la mi-2001. La distribution des différents exemplaires (18, si ma mémoire est bonne) s’est étalée entre cette date et la fin de l’année 2003, ce qui représente deux ans et demi. Eh oui, il faut du temps pour trouver des gens motivés par de la musique de jeux vidéo, mine de rien ! Cela dit, je n’ai pas attendu tout ce temps pour tirer les conclusions dont je vous ai déjà fait part la dernière fois… et à peine plus longtemps pour me poser la question d’un nouveau projet qui serait un peu le successeur du premier, dans lequel je me suis beaucoup investi et que j’ai beaucoup aimé réaliser malgré tout.
Au milieu de l’automne 2002, en effet, fort d’une petite dizaine d’albums disséminés un peu partout, j’avais déjà conscience du semi-échec qu’a été RHUA, et me sentais brûlant d’envie de me lancer à nouveau dans l’aventure et faire mieux. Sans trop savoir dans quelle direction j’allais, je me lançai dans une nouvelle sélection de morceaux évocateurs en écoutant mes bandes originales pendant des heures. La tâche s’avèra cependant beaucoup plus difficile que prévu : ou bien je retombais dans la banalité d’une sorte de best-of, ou bien je me retrouvais avec des copies quasi-conformes du premier volume. Or, mon but n’était plus ici de faire découvrir aux gens la musique de jeux vidéo, pas plus que de faire un simple remake de ce que j’ai déjà réalisé précédemment. En fait, je ne saivais toujours pas vraiment ce que je voulais vraiment en faire, en dehors de l’idée de raconter quelque chose en musique.
Début 2003, désespérant devant de bien piètres résultats, je jetai impitoyablement tout ce que j’avais fait jusqu’alors et partis à la recherche de nouveaux albums à écouter et à “apprendre”, en espérant qu’ils me rafraîchiraient les idées. Et ce fut sans aucun doute ce qui sauva le projet de l’abandon pur et simple. Certains thèmes de Wild Arms, Star Ocean, Skies Of Arcadia, Sonic Adventure ou Shenmue, pour n’en citer que quelques-uns, réussirent à donner un nouveau souffle à ma créativité chancelante, dans la mesure où découvrir tant de nouveaux morceaux d’un coup me conduisit à mettre en parallèle certains thèmes, en remarquant qu’ils pouvaient illustrer la même chose mais pas de la même façon. Et c’est ainsi qu’apparut progressivement l’idée directrice du projet RHUA2 :mettre au point un album dual, c’est à dire comprenant deux disques “parallèles”. L’ensemble devait raconter la même histoire mais d’après deux points de vue différents.
Dans le scénario de RHUA premier du nom, il y avait en gros 7 personnages : le héros, l’esprit gardien de l’île qui l’appelle et le guide vers celle-ci puis se matérialise sous la forme d’un ange-gardien et se joint à celui-ci dès son arrivée. Il y a également les quatre compagnons qu’il rencontre en chemin et décident de l’accompagner et un méchant qui a imposé son joug en ces lieux. Dans RHUA2, j’ai choisi de restreindre l’équipe à l’ange et au héros, lequel n’est pas le même que précédemment mais un de ses proches descendants, l’intrigue se déroulant plusieurs dizaines d’années plus tard (il faut bien laisser au pays le temps de se régénérer et de retomber dans la naïveté, hein). C’est ainsi que vous pouvez lire, sur la première page de la jaquette, les mentions “The Angel’s Path” et “The Hero’s Path” : les deux personnages vivent leur quête chacun à leur façon, la plupart du temps ensemble mais pas toujours.
Développer cette dualité s’est révélé particulièrement intéressant, mais également assez complexe. Une fois encore, j’ai pu me rendre compte de la difficulté à suggérer une histoire grâce à des morceaux pré-existants, en y ajoutant cette fois-ci la contrainte de dédoubler tous les thèmes de façon à ce qu’ils évoquent quelque chose de semblable mais avec une sensibilité différente… le tout en assurant une cohérence de personnalité tout au long de chaque disque, le héros et l’ange étant à la fois opposés et complémentaires. Organiser ce double album selon cette ligne directrice a demandé plus de trois mois, avec des hauts et des bas. Un jour, je trouvais deux morceaux très intéressants à mettre en parallèle, et le lendemain je me rendais compte que l’enchaînement d’un des deux avec le précédent rendait mal, par exemple. Les hésitations et les sacrifices ont été fort nombreux.






Un premier essai rapide me conduit à sélectionner une trentaine de morceaux en fonction de leur qualité intrinsèque, c’est à dire la présence d’un thème simple et bien identifié, accompagné par une instrumentation convaincante. Bref, des bons “hits” potentiels. Je me rends assez vite compte que c’est un échec : peu de jeux sont représentés et ce ne sont que des “classiques”. D’autre part, je me retrouve avec un mal fou à choisir un ordonnancement à l’ensemble. Sans vraiment m’en rendre compte, j’ai déjà abandonné l’idée d’un simple “best of”, et je veux aller plus loin.
Après une sélection laborieuse avec de longues séances d’écoute les yeux fermés en laissant vagabonder mon imagination, j’arrive ainsi à une bonne soixantaines de thèmes. La plupart sont plus courts qu’un morceau “normal” de 4 minutes, mais c’est tout de même trop pour un album que je veux ne voir occuper qu’un seul CD. D’où re-sélection nécessaire. Et pour y arriver, il faut que j’ajoute un nouveau critère. Et c’est en cherchant ce critère que commence à germer l’idée de tenter de raconter une histoire grâce à la musique. Après toutes ce temps passer à rêvasser en écoutant de la VGM en boucle, quelques petits bouts de scénario sont apparus ça et là dans ma tête et je suis en mesure de leur associer un ou plusieurs des thèmes que j’ai retenus.



